Jacques du Roure, 1662 : La Rhétorique française

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Jacques Du Roure, La Rhétorique française nécessaire à tous ceux qui veulent parler, ou écrire comme il faut et faire ou juger : des discours familiers, des lettres, des harangues, des plaidoyers, et des prédications, Paris, chez l’Auteur, 1662, Troisième partie, p. 26, 30-31.

   Il y a cette difference entre les figures dont il reste à parler que comme on peut voir par leur noms mémes, celles qu’on apelle de la diction consistent dans les mos au lieu que les autres qui reçoivent le nom de figures de la pensée, ne dependent que des choses. Cela n’empéche pourtant pas que les paroles qui expriment ces derniers figures ne soient elles mémes des figures ni consequenment qu’elles n’appartennent à ce lieu.

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            Toutes les figures qui nous restent à examiner, consistent dans les choses & sont distinguées par les choses. Il faut donq apprendre qu’il y a deux sortes de ces figures. Les unes regardent les personnes ; savoir l’orateur & ceux à qui il parle ou de qui il parle les autres ne regardent ce semble que les differans sujets dont l’orateur traite. Plusieurs raportent ces figures sans ordre : Et Vossius aveq quelques autres Retoriciens qui les ont distinguées autrement que moy, auroit peut-étre mieux fait de les laisser dans la confusion. L’arrangement qu’ils en ont voulu établir est trop dificile trop long & trop incertain. Mais revenons à celuy que i’ay proposé. Nous pouvons raporter, à l’orateur quatre principales figures, le Doute, la Correction, la Reticence, La Fiction. Le doute nous fait paroitre irresolus : En voicy divers exemples. Dans l’oraison pour Quintius, Ciceron parle de la sorte à son adverse partie. Comment vous appeleray-je ; Méchant ? Et vous le serez quand vous n’avanceriez rien de faux. Imposteur ? vous ne le niez pas Fourbe ? Vous en faites vanité. Quoy donq ; impudant, laiche perfide ? Mais ce sont là de vieux crimes & c’en est icy un nouveau. Dans l’oraison pour la Loy Manilia il a ces mos. On a traité plus indignement diray-je Gabinus ou Pompée, ou plutôt tous les deux ensemble, d’avoir refusé à celuy cy l’autre qu’il demandoit pour son lieutenant. Le plus étrange exemple de la figure dont nous parlons est celuy que l’on voit dans la derniere lettre de l’Empereur Tibere au Senat Romain. Que vous écriray-je, Messieurs ou plutôt que ne vous écriray-je point en ce temps malheureux. Si j’en say rien que tous les Dieux & toutes les Deesses me fassent perir d’une plus cruelle mort, que celle dont je me sens perir tous les jours. Ces derniers mos & ceux que Tacite ajoute, montrent que les figures sont quelquefois des veritez. Et on peut dire en passant qu’elles sont quelquefois des jeux, qui ne plaisent pas à tout le monde. Le Valentin, c’est un exemple tiré de Voiture, est une maison située à un quart de lieuë de Thurin, dans une prairie & sur le bord du Po. En arrivant on trouve d’abord ; je veux mourir si ie say ce qu’on trouve d’abord ; je croy que c’est un perron. Non, non ; c’est vn portique ; je me trompe, c’est un perron. Par ma foy je ne say si c’est un portique ou un perron. Il n’y a pas une heure, que je savois admirablement tout cela, [p. 31] & ma memoire m’a manqué.