DOCILITAS / COMPRÉHENSION (BONNE)
La fin de l’Exorde est de se faire écouter avéque Docilité, aveq Attention & Favorablement. La Docilité oblige à parler d’abord du sujet, ou de quelque chose qui soit du sujet, pour empécher l’incertitude & la suspension des auditeurs, & pour tâcher dés le commencement à leur faire connoitre que l’on ne doit rien dire hors de propos. Demosthene & Ciceron qui ont été les deux plus illustres maîtres de l’Art, que l’antiquité ait vûs, en ont tousiours uzé de la sorte, au moins dans leur chef-d’œuvres : l’un nomme d’abord son adversaire dans la Harangue pour Ctesiphon ; & l’autre commence la deffense de Milon par Milon mémes. On garde ce precepte de l’Exorde dans les premiers Vers presque de toutes sortes de Poësies, encore qu’ils soient generaux & mémes sans exorde. Voicy ceux de la Tragedie d’Heraclius composée par Corneille.
Crispe, il n'est que trop vray, la plus belle Couronne
N'a que de faux brillants dont l'éclat l'environne
Et celuy dont le ciel pour un sceptre fait choix,
Jusqu'à ce qu'il le porte, en ignore le poids.
Mille & mille douceurs y semblent attachées,
Qui ne sont qu'un amas d'amertumes cachées.
Qui croit les posseder, les sent s'évanoüir,
Et la peur de les perdre ôte l'heur d'en iouïr.
Sur tout qui comme moy d'une obscure naissance
Monte par la revolte à a toute puissance,
Qui de simple soldat à l'Empire élevé,
Ne l'a que par le crime acquis & conservé.
Cette Tragedie est tellement disposée, que l’Empereur Phocas dés le commencement dit à son Gendre le sujet qui le fait craindre, & à nous le sujet que le Poëte prend pour nous entretenir. La plus part de ceux qui raportent icy les preceptes des Reteurs, enseignent que la Docilité dont nous parlons dépend de la Proposition & de la Distribution des principales choses qui doivent entrer dans le discours, mais on ne l’a fait guere qu’apres l’Exorde & la Narration mémes.