FIGURA / FIGURE
SECTION II. Des Figures de Rhétorique.
< Manchette : Définition des Figures de Rhétorique.>
On emploie le nom de Figure en Grammaire, on l’emploie en Rhétorique. Les Figures de Grammaire ne sont point de mon sujet. Je ne traiterai ici que de celles de Rhétorique.
Les Figures de Rhétorique se définissent communément des façons de parler qui s’éloignent de la maniere naturelle & ordinaire. Définition trop vague, qui ne présente point d’idée, ou qui en présente une fausse, comme a fort bien remarqué un Ecrivain (a), à qui on ne peut refuser la louange d’avoir porté la netteté, la précision & la justesse dans les matieres qu’il a discutées.
<N.d.A. L'Auteur du Livre des Tropes.>
Les figures sont si peu éloignées de la manière [t. II, p. 74] naturelle de parler & de penser, que c’est la nature elle-même qui nous les inspire, & qu’elles ne sont belles & louables dans le discours qu’autant qu’elles sont naturelles. Il n’est point besoin d’art pour faire des Figures de Rhétorique. Les discours les plus ordinaires en sont pleins, & en particulier ceux des personnes qui parlent avec le moins d’apprêt, & qui suivent le plus simplement les impressions de la nature. L’Auteur des Tropes observe, & bien d’autres en ont fait la remarque avant lui, « que dans un jour de marché à la Halle il se fait plus de Figures, qu’il ne s’en fait en plusieurs jours d’assemblées Académiques. »
Comment donc définirons-nous les Figures de Rhétorique ? Distinguons dans le discours le fond de la pensée, & la maniere de l’exprimer. Un tour de phrase, qui par la maniere dont il exprime la pensée, y ajoute de la force, de la noblesse ou de la grace, c’est ce que l’on appelle Figure de Rhétorique. Des exemples rendront la chose sensible.
Achille, à qui, dans Racine, Agamemnon reproche qu’il est lui-même, [t. II, p. 75] par son empressement pour la guerre, la vraie cause de la mort que va souffrir Iphigénie, pouvoit répondre : Vous avez tort de me reprocher cet empressement. Si j’ai souhaité la guerre, ce n’étoit point pour moi, mais uniquement pour vos intérêts. Cette pensée est solide & judicieuse en elle-même. Mais elle acquiert une grande force par le tour que le Poëte a su lui donner.
« Et que m’a fait, à moi, cette Troye où je cours ?
Aux pieds de ses remparts quel intérêt m’appelle ?
Pour qui, sourd à la voix d’une mere immortelle,
Et d’un pere éperdu négligeant les avis,
Vais-je chercher la mort tant prédite à leur fils ?
Je n’y vais que pour vous, barbare que vous êtes !
Pour vous, à qui des Grecs moi seul je ne dois rien,
Vous que j’ai fait choisir & leur chef & le mien. »
Le tour interrogatif anime la pensée par l’indignation qu’il exprime. La répétition insiste avec véhémence, & semble porter des coups redoublés. Tel est le premier & le plus bel usage des Figures oratoires : donner au discours de la force, de l’ame, de la vie, par l’expression du sentiment.
Quelquefois les Figures sont mises en œuvre pour donner de la noblesse [t. II, p. 76] au style, qui n’auroit pas la dignité convenable, si la chose étoit exprimée simplement. M. Fléchier, dans l’oraison funebre de Madame la Duchesse d’Aiguillon, emploie ce tour de similitude & de métaphore : « Ce fut alors (dans un tems de calamité publique, qui affligeoit plusieurs Provinces de France,) « ce fut alors que sa charité, comme un fleuve sorti d’une source vive & abondante, & grossi de quelques ruisseaux étrangers, rompit ses bords, & s’épandit sur tant de terres arides. » L’Orateur fait sentir lui-même la différence entre ce langage figuré & l’expression simple. « Parlons sans figure, ajoute-t-il tout de suite. Ce fut alors qu’unissant à ses aumônes celles qu’elle avoit sollicitées & recueillies, elle fit couler dans ces Provinces désolées un secours de trois ou quatre cent mille livres. » Cette derniere phrase a beaucoup moins d’éclat, quoiqu’elle n’ait rien de trop humble. Mais la premiere brille par le tour figuré. Ce second usage des Figures est d’un prix bien moindre que le premier. Il a pourtant son mérite : & il est le caractere [t. II, p. 77] constitutif du style orné, qu’exige le genre démonstratif.
Les Figures servent en troisieme lieu à donner au style de l’aménité & de la grace. Plusieurs expressions de ce goût ont passé dans le langage ordinaire : la fleur de l’âge, la fleur de la beauté, la jeunesse est le printems de la vie humaine. Les fables de la Fontaine fournissent à chaque pas des exemples de semblables agrémens, sortis de la source des Figures : le réveille-matin, pour signifier le coq : Grippeminaud, le bon Apôtre : un nid des jeune oisillons, qui délogent sans trompette : un pré, séjour du frais, véritable patrie des zéphirs. La Fontaine est le Poëte des graces. La prose devient presque aussi charmante sous la plume de l’Auteur du Télémaque : & toujours avec le secours des Figures. Voyez cette description de la vie que menoient les bergers instruits par Apollon <Télém. l. II>. « Il apprit ainsi aux bergers quels sont les charmes de la vie champêtre, quand on sait goûter ce que la simple nature a de gracieux. Bientôt les bergers avec leurs flûtes se virent plus heureux que les Rois : & leurs cabanes [t. II, p. 78] attiroient en foule les plaisirs purs, qui fuient les palais dorés. Les jeux, les ris, les graces, suivoient par-tout les innocentes bergeres. Tous les jours étoient des fêtes. On n’entendoit plus que le gazouillement des oiseaux, ou la douce haleine des zéphyrs, qui se jouoient dans les rameaux des arbres, ou le murmure d’une onde claire, qui tomboit de quelque rocher, ou les chansons que les Muses inspiroient aux bergers qui suivoient Apollon. »
Je ne puis m’empêcher de placer ici une réflexion, qui naît dans mon esprit de la chose même, quoiqu’elle puisse paroître hors d’œuvre. Dans la description que je viens d’apporter en exemple, les Figures ne sont point inutiles pour l’agrément : mais c’est du fond même des choses qu’il sort pour la principale partie. Les objets de la nature ont par eux-mêmes tant de charmes, qu’ils plaisent dès qu’ils sont fidélement représentés, & sans avoir besoin d’aucun secours emprunté du dehors. Les figures au contraire ne peuvent plaire, qu’appliquées à un sujet avec lequel elles conviennent.
[t. II, p. 79] Reprenons notre matiere, & ne craignons point d’observer pour la seconde fois, que si les Figures de Rhétorique ont trois caracteres & trois usages, la force, la noblesse & l’agrément du style, la premiere de ces vertus est la plus excellente & la plus utile pour l’Orateur. Les Figures en exprimant les sentimens dans celui qui parle, le communiquent à ceux qui écoutent, comme il a été remarqué dans le Traité des Passions : & par conséquent elles contribuent infiniment à l’ouvrage de la persuasion, qui est le but de l’Eloquence.
< Manchette : Division des Figures.>
Après avoir défini en général les Figures de Rhétorique, nous devons les considérer chacune en particulier ; & pour mettre quelque ordre dans ce que nous en dirons, les distribuer en certaines classes. Il sembleroit naturel de les diviser à raison de leurs trois usages : mais la chose n’est pas possible, vu qu’une même Figure peut avoir des usages différens. Ainsi la répétition est quelquefois employée pour la force, comme dans le premier exemple que j’ai cité de Racine, & dans celui-ci de Corneille : [t. II, p. 80]
« Rome, l’unique objet de mon ressentiment ;
Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant ;
Rome, que je déteste, & que ton cœur adore ?
Rome enfin, que je hais parce qu’elle t’honore. »
Quelquefois la même Figure est réduite au mérite du simple agrément, comme dans ces vers de la Fontaine <L. I. Fable 11> :
« …… Le sort officieux
Présentoit par-tout à ses yeux
Les conseillers muets dont se servent les Dames,
Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands
Miroirs aux poches des galans,
Miroirs aux ceintures des amans. »
Il faut donc de nécessité s’en tenir aux divisions usitées, quoiqu’elles entrent moins dans la nature de la chose, & qu’elles soient tirées de circonstances accessoires & indifférentes pour l’Orateur.
< Manchette : Tropes.>
Il y a des Figures de Rhétorique qui changent la signification des mots, & on les nomme Tropes, mot Grec qui signifie changement. D’autres Figures laissent le mot à sa véritable & naturelle signification, & elles conservent le nom générique de Figures.
Celles-ci se distinguent encore en deux especes, Figures de mots, Figures de pensées.
< Manchette : Figures de mots.>
La Figure de mots y est tellement [t. II, p. 81] attachée, que si on change le mot, elle périt.
< Manchette : Figures de pensées.>
La Figure de pensées, résidant essentiellement dans l’idée ou dans le sentiment qu’elle exprime, subsiste malgré le changement des mots, pourvu que le même sens se conserve.