SIMILITUDO / RESSEMBLANCE
VIII, 3, 72. Mais pour répandre de la lumière sur les choses dont on parle, les similitudes ont été surtout bien imaginées. Il y en a de deux sortes. Les unes servent à la preuve, et sont mises pour cela au nombre des arguments. Les autres dont je parle ici sont admirables pour peindre les objets.
Semblables à des Loups, que d’un sombre bocage,
Pendant un noir brouillard chasse l’avide rage, etc.
VIII, 3, 73. Ce qu’il y faut principalement observer, c’est de ne pas apporter pour similitude une chose qui de soi est obscure et inconnue. Car il est hors de doute que ce qui est fait pour éclairer un endroit, doit avoir plus de lumière que cet endroit-là même. C’est pourquoi laissons aux Poètes ces comparaisons savantes et non communes,
Tel du Xante glacé quittant l’âpre séjour,
Apollon pour Délos prend un nouvel amour.
VIII, 3, 74. Un Orateur ne serait pas reçu de même à peindre une image par le moyen d’une autre qui serait moins claire. Mais en traitant des arguments, j’ai parlé d’une autre sorte de similitude, qui est aussi fort propre à donner à l’Oraison un certain air de noblesse, de gaieté, d’agrément, et même de merveilleux. Car plus celles-la sont tirées de loin, plus elles paraissent neuves et causent d’admiration. VIII, 3, 75 En voici quelques-unes que l’on pourra trouver communes, et qui sont néanmoins fort persuasives. Il en est de l’esprit comme de la terre. L’un et l’autre deviennent plus fertiles et meilleurs, à mesure qu’on les cultive. Comme les Médecins ne font pas difficulté de retrancher du corps un membre qui est gangrené, de même il ne faut pas hésiter à exterminer les mauvais Citoyens, quand [p. 521; VIII, 3] même ils nous seraient unis par les liens du sang. En voici d’autres qui sont plus élevées. Les arbres, les pierres même et les rochers répondent à la voix. Souvent les bêtes les plus féroces se laissent toucher et apprivoiser par la douceur de l’harmonie. VIII, 3, 76 Mais ce genre de similitudes tourne souvent en abus, surtout par la licence de nos Déclamateurs. Car ils apportent des exemples qui sont faux, ou ils les appliquent mal à leur sujet. C’était le défaut de certaines comparaisons que l’on trouvait pourtant admirables dans ma jeunesse. Les grands fleuves sont navigables dès leur source. Un bon arbre n’est pas plutôt planté qu’il donne du fruit.
VIII, 3, 77 Or dans toute comparaison, ou bien la similitude précède, et la chose suit, ou bien la chose précède, et la similitude suit. Mais quelquefois la similitude est libre et détachée, quelquefois aussi, et cela vaut beaucoup mieux, elle est jointe avec la chose dont elle est l’image, par un lien qui les embrasse toutes deux, et qui fait qu’elles se répondent réciproquement. VIII, 3, 78 La similitude précède dans l’exemple que j’ai rapporté au commencement.
Semblables à des Loups, etc.
Elle suit dans le premier Livre des Géorgiques, lorsque le Poète après avoir déploré le malheur des guerres Civiles et Étrangères, finit de la sorte,
Ainsi hors de la lice, un char léger s’envole,
Quand les Chevaux fougueux des dents serrent le frein,
Le Cocher éperdu tire la bride en vain.
VIII, 3, 79 Mais la liaison n’est bien marquée dans l’un ni dans l’autre endroit. Par cette liaison, j’entends un certain tour qui compare les deux choses ensemble, qui les met sous les yeux, et les fait envisager en même temps. J’en trouve plusieurs beaux exemples dans Virgile; mais il vaut mieux en prendre chez les Orateurs. Cicéron dit dans l’Oraison pour Muréna, Comme on dit que chez les Grecs ceux qui ne peuvent jouer de la lyre, jouent de la flûte; aussi parmi [p. 522; VIII, 3] Nous, ceux qui n’ont pu devenir Orateurs, se font Jurisconsultes. VIII, 3, 80 Dans un autre endroit il s’élève davantage. De même, dit-il, que les tempêtes sont souvent excitées par quelque constellation, souvent aussi tout à coup, sans qu’on en puisse rendre raison, et par une cause occulte; de même ces mouvements orageux que nous voyons arriver dans l’assemblée du Peuple, naissent quelquefois d’une maligne influence, que tout le monde connaît; quelquefois aussi la cause en est si cachée, qu’ils semblent être un effet du hasard.
VIII, 3, 81 Il y a d’autres similitudes qui sont fort courtes, comme celle-ci, Errants dans les Forêts à la manière des bêtes, et cette autre de Cicéron au sujet de Clodius, Duquel Jugement nous le vîmes échapper tout nu, comme d’un incendie. Chacun peut en imaginer de semblables, et les conversations en fournissent assez d’exemples.
À cette dernière espèce se rapporte une autre beauté, qui consiste non pas seulement à peindre les choses, mais à les peindre avec des traits également vifs et courts. VIII, 3, 82 Et certainement on a raison de louer la brièveté, à laquelle il ne manque rien. Cependant celle qui ne dit précisément que ce qu’il faut est la moins estimable. Il en sera parlé dans les figures. Mais il y en a une autre bien plus belle, c’est celle qui dit beaucoup en peu de mots. Telle est une certaine expression de Salluste en parlant de Mithridate. Mais l’obscurité est à craindre.