Joseph Victor Le Clerc, 1837 : Nouvelle Rhétorique, extraite des meilleurs écrivains anciens et modernes

Définition publiée par Corinne Denoyelle

Joseph-Victor Le Clerc, Nouvelle Rhétorique, extraite des meilleurs écrivains anciens et modernes, suivie d'Observations sur les matières de composition dans les classes de rhétorique, et d’une Série de Questions à l’usage de ceux qui se préparent aux Examens dans les Collèges royaux et à la Faculté des Lettres, Bruxelles, Société belge de librairie, etc., Hauman, Cattoir et comp°, 1837 (1ère éd. 1823), p. 265.

Définition publiée par CD, le 06 avril 2016

L’antithèse oppose les mots aux mots, les pensées aux pensées:

Vicieux, pénitent, courtisan, solitaire,

Il prit, quitta, reprit la cuirasse et la haire.

Henriade.

Cette figure, quand elle naît du sujet et qu’elle est placée à propos, produit un bel effet. Phocas, dans l’Héraclius de Corneille, voyant Héraclius et Martian se disputer le titre de fils de Maurice, et ne vouloir ni l’un ni l’autre être regardés comme fils de Phocas, s’écrie avec douleur:

O malheureux Phocas! O trop heureux Maurice!

 [p. 266] Tu recouvres deux fils pour mourir après toi,

Et je n’en puis trouver pour régner après moi!

Acte IV, sc. 4.

Ici l’antithèse est la chose même, et elle devient non-seulement brillante, mais pathétique. Elle est noble et élevée dans ces paroles de Bossuet: « Malgré le mauvais succès de ses armes infortunées (il parle de Charles 1er, roi d’Angleterre), si on a pu le vaincre, on n’a pu le forcer; et comme il n’a jamais refusé ce qui était raisonnable étant vainqueur, il a toujours rejeté ce qui était faible et injuste étant captif. »

Tous les contrastes nous frappent, parce que les choses en opposition se relèvent toutes les deux: ces sortes de surprises font le plaisir que l’on trouve dans toutes les antithèses et figures pareilles. Quand Florus dit: « Sore et Algide, qui le croirait? nous ont été formidables; Satrique et Cornicule étaient des provinces; nous rougissons des Bovilliens et des Véruliens, mais nous en avons triomphé; enfin, Tibur, notre faubourg, Préneste, où sont nos maisons de plaisance, étaient le sujet des voeux que nous allions faire au Capitole » (I, 11). Cet auteur nous montre en même temps la grandeur de Rome et la petitesse de ses commencements, et l’étonnement porte sur ces deux choses.

Le même historien, en parlant des Samnites, dit que leurs villes furent tellement détruites, qu’il est difficile de trouver à présent le sujet de vingt-quatre triomphes: ut non facile appareat materia quatuor [p. 267] et viginti triumphorum (I, 16). Et par les mêmes paroles qui marquent la destruction de ce peuple, il fait voir la grandeur de son courage et de son opiniâtreté.

Pour que cette figure soit irréprochable, il faut qu’elle porte sur un fond vrai et solide, et qu’elle ne roule pas sur des mots vides de sens. Observons toujours combien est grande la différence des antithèses d’idées d’avec les antithèses d’expressions. Le vieux poëte Bertaut se rappelle tous les égarements de son coeur; il se plaint des étranges détours,

« Où, dit-il, me cherchant, j’ai perdu tant de jours,

Où me perdant, j’ai trouvé tant de peines. »

Voilà de l’extravagance. Mais, quelque solide que soit l’antithèse, si elle est trop répétée, elle déplaît par l’air de recherche et par l’uniformité qu’elle met dans le style. C’est ce défaut qui dépare un peu le mérite de Fléchier et de nos poëtes. L’esprit aime les contrastes, dit Montesquieu; mais le tour de phrase toujours le même, et toujours uniforme, déplaît extrêmement: ce contraste perpétuel devient symétrie, et cette opposition toujours recherchée devient uniformité.

Quand les choses qu’on dit sont naturellement opposées les unes aux autres, il faut marquer l’opposition, ces antithèses-là sont naturelles, et font sans doute une beauté solide; alors c’est la manière la [p. 268] plus courte et la plus simple d’exprimer les choses. Mais chercher un détour pour trouver une batterie de mots, cela est puéril. D’abord les gens de mauvais goût en sont éblouis; mais dans la suite ces affectations fatiguent l’auditeur. Connaissez-vous l’architecture gothique? avez-vous remarqué ces roses, ces points, ces petits ornements coupés et sans dessein suivi? Voilà en architecture ce que sont dans l’éloquence les petites antithèses et les autres jeux de mots.