Étienne Dubois de Bretteville, 1689 : L’Éloquence de la chaire et du barreau

Définition publiée par Kayirici

Étienne Dubois de Bretteville, L’Éloquence de la chaire et du barreau selon les principes les plus solides de la rhétorique sacrée et profane, Paris, Denys Thierry, 1689, p. 96-98

 

De l’Enthymeme

L’Enthymeme est un Syllogisme parfait dans l’esprit, mais imparfait dans l’expression, parce qu’on y supprime quelqu’une des propositions, comme trop claire & trop connuë, & comme étant facilement supplée par l’esprit de ceux à qui l’on parle. Par exemple.

Tout ce qui amollit le cœur de l’homme, est dangereux.
Donc la Comedie est dangereuse.

Cette maniere d’argument est plus propre pour l’Eloquence, parce qu’une des principales beautés du discours est d’être plein de sens ; & de donner occasion à l’esprit de former une pensée plus étenduë que n’est l’expression. Ce beau Vers de la Medée de Seneque,

Servare potui, perdere an possim rogas ?
J’ay bien pû te sauver, ne puis-je pas te perdre ?

contient un Enthymeme d’Orateur, qui a toute une autre grace que si l’on disoit dans un Syllogisme parfait :

Celuy qui peut sauver, peut perdre.
Or j’ai pû vous sauver ; donc je pourray vous perdre.

Tel est encore cet Enthymeme qu’Aristote appelle une Sentence Enthymematique.

Mortel, ne gardés pas une haine immortelle.

Si l’on disoit dans les formes de la Logique :

Celuy qui est mortel, ne doit pas conserver une haine immortelle.
Or vous êtes mortel.
Donc vous ne devés pas conserver une haine immortelle.

Il est certain qu’on ôteroit toute la force, & toute la beauté de cette pensée.