SUSPENSIO / SUSPENSION
La Suspension [sustentatio] est la figure où nous tenons quelque temps en suspens l’esprit des auditeurs jusqu’à ce que nous exposions enfin ce que nous avions gardé en nous-mêmes, sans le révéler. On emploie cette figure quand on a à dire quelque chose d’extraordinaire, d’étonnant, d’inattendu, à moins qu’on ne veuille plaisanter ou provoquer le rire, < comme le fait Martial dans cette épigramme :
Tu dînes trop souvent sans moi, Lupercus.
J’ai trouvé le moyen de t’en punir.
Je boude. Tu auras beau m’inviter de vive voix ou par écrit, me supplier…
– Que feras-tu ? – Ce que je ferai ? Je viendrai !
Cicéron, Contre Verrès, V, § 10 : « On instruit le procès ; les esclaves sont condamnés. Ici, vous attendez quelque vol, quelque nouvelle rapine. Et quoi ! partout les mêmes répétitions ? Dans un moment de guerre et d’alarme, songe-t-on à voler ? D’ailleurs, si l’occasion s’en est présentée, Verrès n’en a pas profité. Il pouvait tirer quelque argent de Léonidas, lorsqu’il l’avait assigné devant son tribunal. Il pouvait, et ce n’eût pas été la première fois, composer avec lui pour le dispenser de comparaître. Il pouvait encore se faire payer pour absoudre les esclaves ; mais les voilà condamnés : quel moyen de rien extorquer ? Il faut de toute nécessité qu’ils soient exécutés : les assesseurs de Verrès connaissent l’arrêt ; il est consigné dans les registres publics ; toute la ville en est instruite ; un corps nombreux et respectable de citoyens romains en est témoin. Il n’est plus possible de reculer, il faut qu’ils soient conduits au supplice. On les y conduit ; on les attache au poteau. Il me semble qu’à présent encore vous attendez le dénouement de cette scène. Il est vrai que Verrès ne fit jamais rien sans intérêt. Mais ici qu’a-t-il pu faire ? quel moyen s’offre à la cupidité ? Eh bien ! imaginez la plus révoltante infamie : ce que je vais dire surpassera votre attente. » Alors ce que Cicéron ajoute pour finir, c’est la corruption de Verrès : contre paiement, celui-ci ordonna que les coupables soient acquittés. >
Ainsi : « Apprenez combien autrefois non seulement les rois mais encore les tyrans faisaient cas des savants et de quels honneurs ils les comblaient. Denys le Tyran fit venir Platon à Syracuse et le reçut, vous allez me demander avec quelle pompe, quelles cérémonies ; peut-être vous attendez-vous à ce qu’on ait passé le cylindre sur les routes pour les égaliser comme on le fit pour Caligula ? vous n’y êtes pas ; à ce qu’on ait étendu sur son passage des tapis tissés d’or comme pour Commode ? nullement ; à ce qu’on ait jonché de fleurs les voies où il devait passer ? encore moins. Qu’a-t-on donc fait ? apprenez-le. Denys lui-même, servant de cocher, a conduit dans Syracuse Platon dans un char tout brillant d’or. »
< « Il y a peu, comme une femme voulait frapper sa petite servante, et qu’elle ne pouvait le faire aisément parce qu’elle avait les mains prises (dans l’une elle tenait un miroir, et dans l’autre un collier de pierres précieuses et des bracelets en or) : que crois-tu qu’elle ait fait ? Ce miroir, dira-t-on, elle l’a peut-être brisé sur sa tête ? Nullement ; car il était trop précieux pour être brisé pour un motif de si peu d’importance. Eh quoi ? est-ce qu’elle lui a donné un coup de pied ou de genou ? Manières bonnes pour une femme du peuple. L’a-t-elle accablée d’injures ? Cela est tout aussi vulgaire. Qu’a-t-elle donc pu bien faire ? Il semble qu’il n’y ait pas d’autres manières que celles-là de contenter sa colère ni de venger sa douleur. En vérité il y en a une autre, quoiqu’étrange et nouvelle. À savoir, régler l’affaire avec ses dents. Que dis-tu, avec ses dents ? mais comment ? La jeune fille se tenait dans son dos pour lui peigner les cheveux ; sa maîtresse la fait venir devant elle ; elle obéit ; et voilà que cette inhumaine se rue sur son visage, et vise son nez ; la servante se détourne à temps, en place du nez c’est l’oreille qui est touchée, et la morsure de la furie l’arrache presque tout entière. Quelle ignominie sans exemple ! >