Joseph de Jouvancy, 1710 : Candidatus rhetoricae

Définition publiée par Mattana-Basset

Joseph de Jouvancy, L’Élève de rhétorique (Candidatus rhetoricae, 1e éd. 1710, 1e trad. 1892), édité par les équipes RARE et STIH sous la direction de D. Denis et Fr. Goyet, Paris, Classiques Garnier, 2019, première partie, "Comprenant les premiers éléments de rhétorique relatifs à l'invention", chap. VII, "Des lieux intrinsèques", "De l'Étymologie et des Dérivés", p. 72-75 et chap. IX, "Exemples des lieux intrinsèques", art. I, "Exemples des lieux de la Définition et de l’Étymologie < du nom propre >", p. 84-91. 

Définition publiée par RARE, le 04 juin 2020

Qu’est-ce que l’Étymologie ? R. C’est un lieu qui recherche l’origine et la signification des mots.

Prouvez d’après ce lieu que Cicéron a été un véritable consul. R. Celui-là est véritablement consul qui veille au salut de la patrie ; or Cicéron a veillé au salut de la patrie, il a donc été un véritable consul.

 

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ARTICLE 

Exemples des lieux de la Définition et de l’Étymologie < du nom propre >

 

< Dans la péroraison de la première Philippique, § 29, Cicéron exhorte Dolabella à sauvegarder la paix et la concorde dans la république en lui représentant la gloire que donnent les bonnes actions, gloire dont il donne la définition : « C’est, dit-il, la louange qui suit les actions honorables », etc. > Sénèque (lettre 76) exhorte l’homme à mener une vie raisonnable ; il dépeint ce que c’est que la raison, et il enseigne qu’elle est le bien propre de l’homme, tandis que les autres biens lui sont communs avec les animaux. Il procède par induction et subjection. « L’homme, dit-il, a-t-il de la force ? mais les lions en ont aussi ; est-il prompt à la course ? mais les chevaux le sont aussi ; a-t-il un corps ? mais les arbres en ont un aussi. L’homme, qu’a-t-il en propre ? la raison », etc. Les rhéteurs n’expliquent pas toujours comme les philosophes une définition par le genre et la différence, mais, de temps en temps, par les causes, les effets, les circonstances, les ressemblances et autres lieux de ce genre qui dépeignent la nature d’une chose et ouvrent un vaste champ aux ornements du langage et à l’amplification. 

< Cicéron définit le Sénat romain par de nombreuses images accumulées : « C’est, dit-il, le temple sacré de la majesté romaine, le chef-lieu de Rome, l’asile des alliés, le port de toutes les nations », etc. C’est ainsi que l’on reprendra un jeune homme qui abuse de sa jeunesse et se fie à sa bonne santé. « Jeune homme, ne crois pas que tu puisses abuser de ta jeunesse et de ta bonne santé, ne t’y fie pas. C’est une fleur qui vite se fane ; une ombre qui s’efface en un moment ; un printemps plein de joie et de charme, mais qui ne dure pas ; un rêve qui n’a pas de réalité et qui se joue des malins comme des endormis ; une rose d’un matin, que le soleil dès son lever fait sécher ; une poussière stérile qu’une légère brise suffit à disperser. » 

C’est ainsi que l’on détournera la même personne de la recherche des plaisirs : « Ah ! que fais-tu, malheureux, en recherchant avidement les plaisirs ? Les plaisirs sont un lacet mortel qui t’étrangle ; tu bois un poison par lequel tu te tueras ; tu réchauffes en ton sein un serpent venimeux qui te fera périr par une étreinte cruelle », etc. > 

Il est une autre définition ou description de chose tirée des causes qui l’ont produite ; ainsi, vous définirez l’homme un être créé par Dieu et doué de raison ; composé d’un corps mortel et d’une âme immortelle ; fait pour être heureux, pour posséder Dieu même qui est le souverain bien, etc.

< On tire aussi une définition des circonstances. C’est par ce procédé que Cicéron décrit Pison et Gabinius dans son discours Pour Sestius. À partir du § 17, il fait une véritable peinture de leurs traits, de leur contenance et même de leur façon de marcher et de s’habiller : « Sans doute, les destins l’avaient ainsi ordonné… » >

On tire encore des effets et des résultats d’une chose, d’un fait, une autre définition. Ainsi, qu’est-ce que la guerre ? C’est un monstre épouvantable que l’injustice, la violence, la fureur accompagnent ordinairement. Partout où elle se jette, elle n’apporte que désastre dans les campagnes, dans les villes, dévastation dans les provinces. Elle s’abreuve du sang des malheureux, se réjouit des larmes qu’elle fait verser et triomphe par le meurtre et la ruine, etc. 

La manière la plus élégante de définir une chose est de nier d’abord, puis de faire suivre la négation de l’affirmation, en exposant la chose telle qu’elle est. Ainsi, Cicéron dans son discours Pour sa maison (§ 89), s’écrie : « Prenez-vous donc pour le peuple romain cette troupe de mercenaires ? » Et il continue ironiquement : « Ô la belle image de cette grandeur, de cette majesté du peuple romain, qui fait trembler les rois, les nations étrangères ! » Puis il termine par l’affirmation : « La beauté, la vraie image du peuple romain, vous l’avez vue, etc., ce peuple souverain des rois », etc. < § 90.

De même, dans le Contre Pison § 43, il nie que les hommes honnêtes puissent être affectés par un supplice ; et il affirme que les méchants, même s’ils semblent heureux, sont pourtant tourmentés de façon misérable. 

De même : dans le Pour Sestius § 97, il expose quels sont ceux qui doivent être appelés des optimates ; dans le second discours Contre Rullus, ou si l’on préfère Sur la loi agraire, § 10, quels sont ceux qui sont « populaires » ; même chose dans le Pour Rabirius accusé de crime d’État, du § 11 au § 14. >

Il est encore une définition tirée de l’étymologie ou explication d’un mot, ainsi. < Cicéron nie que Pison soit un vrai consul (consul), puisque il n’a pas veillé (consulere) aux intérêts de la république : « Crois-tu donc que ce soient les licteurs et la robe prétexte qui fassent le consul » etc. « C’est par le cœur que l’on est consul, c’est par la prudence, par le zèle, par la gravité », etc. « Sera-t-il à mes yeux consul, celui qui s’est imaginé que la république était sans Sénat ? » etc.

On peut ainsi nier le fait que quelqu’un soit vraiment un ami, en prouvant qu’il aime plus avec des mots qu’avec des actes. « Quel est le véritable ami ? Est-ce celui qui sourit avec une expression flatteuse ? qui fait des promesses ? qui fait sans cesse des compliments ? Voilà une belle amitié que celle qui, etc. Celui-là, celui-là seul est un ami qui donne son amitié quand on est dans l’adversité aussi bien que tout va bien, celui qui aide par des conseils avisés, qui », etc. Ainsi, de même : > Quel est le véritable chrétien ? C’est celui qui imite le Christ, et non celui qui se glorifie seulement du nom de chrétien. Pensez-vous que celui qui, pendant sa vie s’adonne à Bacchus, à Vénus, soit chrétien parce que le baptême lui a enlevé la tache du péché originel et qu’il a le nom de chrétien, etc. ? Celui-là, celui-là seul est chrétien qui, consacré au Christ par un sacrement solennel, suit sa bannière, réprime ses passions et garde la dignité de chrétien, dignité inappréciable, pour laquelle le Dieu créateur et maître de l’univers a daigné descendre du ciel sur la terre, et abaisser sa majesté divine jusqu’à prendre la nature mortelle, et changer le trône de sa gloire infinie contre une croix infâme.

Quelquefois c’est dans le nom même qu’on cherche une pointe, un jeu de mots. C’est ainsi que Cicéron, plaidant pour Roscius Amérinus, fait soupçonner Chrysogonus d’être avare, parce que son nom en grec signifie doré, ou né de l’or ; de même il dit de Verrès, dans Verr. II, qu’il a justifié par ses actes la signification de son nom, parce qu’il a balayé, c’est-à-dire dépouillé une province.