GESTUS / GESTE
ARTICLE 7
Règles du débit oratoire ou bien art de régler la voix et le geste
< L’art du débit oratoire comprend le double exercice de la voix et du geste. La voix ne doit pas être trop basse, de peur qu’on ne l’entende pas, même à une faible distance. Il faut s’abstenir, d’un autre côté, de tout dire sur un seul et même ton et avec une intensité égale. Il faut tantôt élever, tantôt baisser la voix ; elle doit être tantôt plus animée, tantôt plus calme. On n’a en cela qu’à imiter la nature, qui donne à la colère une voix tout autre qu’à la prière [supplicanti] et au récit ; tout autre à la gaieté qu’à la tristesse ; au jeune homme qu’au vieillard. On doit veiller à ne pas laisser tomber sa voix là où il ne le faut pas ; à ne pas réciter de trop longs morceaux tout d’une haleine < et au contraire > à observer avec soin les pauses et les intervalles du discours, qui sont dans le discours comme autant de barrières destinées à suspendre un peu la course. Un défaut que l’on remarque chez quelques personnes quand elles récitent des vers hexamètres, c’est de marquer chaque vers par des élancements de voix et de les scander en récitant ; ou bien, quand ce sont des pentamètres < qui sont récités >, de s’arrêter < et de s’immobiliser un bref moment > avant l’hémistiche dissyllabe qui termine ces sortes de petits vers. La règle à observer, c’est de ne s’arrêter qu’à la fin de l’idée [sententia] exprimée, à moins qu’elle n’exige un trop grand nombre de mots pour qu’il soit possible de les dire tout d’une haleine ; alors on pourra faire une petite pause au milieu de la phrase. Il faut s’appliquer surtout à prononcer bien distinctement les dernières syllabes des mots qui, en se perdant ordinairement, nuisent beaucoup à l’intelligence de la phrase [sententia]. Il en est < en effet > qui parlent plus du nez que du gosier, qui bégaient et tronquent les mots ; on peut sinon guérir, du moins corriger ces défauts de nature.
Pour ceux qui s’exercent à la récitation et à la déclamation, il sera bon de leur expliquer familièrement et à voix basse ce qu’ils doivent réciter ; car il faut avant tout qu’ils le comprennent, et pour cela, il sera utile de le leur faire traduire en français [patrium sermo]. Bien plus, faites-les déclamer un peu dans cette langue [vernaculè], comme s’ils parlaient à un camarade ou à une personne connue ; de cette manière, ils comprendront facilement quel doit être le ton de leur voix, quels doivent être leurs gestes. Quand ils auront essayé les tons qui conviennent au sujet, et qu’ils auront, pour ainsi dire, esquissé leur action [actio], ils pourront, s’il en est besoin, élever la voix et se livrer à de plus grands effets. Il faut aussi inviter les amis ou les parents à venir les entendre, avant de les produire sur un théâtre, surtout s’ils sont novices dans la déclamation. C’est ainsi qu’on leur donnera de l’assurance, et les conseils < d’un autre ou > d’un étranger auront quelquefois plus d’influence que ceux d’un maître à qui ils sont accoutumés.
Il y a pour former le geste, comme pour former la voix, certaines règles et des mesures à observer. Il faut que le corps, dans son maintien < et sa contenance >, soit ferme, stable et droit ; que la tête ne soit ni penchée de côté, ni trop inclinée sur l’une ou l’autre épaule ; qu’elle ne remue pas ou ne se redresse pas sans raison ; que les mains ne se portent pas trop en avant ; qu’elles ne s’élèvent pas < ordinairement > au-dessus des épaules ; qu’elles ne pendent pas aux côtés comme si l’on était manchot ; qu’elles ne s’appuient pas toutes deux sur les hanches en forme d’arc ou d’anse. Il faut également ne pas s’habituer à fermer la main et à montrer un poing menaçant. < Il ne faut pas non plus tendre la main en avant de façon trop rigide, ni claquer des mains ou applaudir trop souvent ou sans raison grave. > Il est peu convenable d’élever et d’agiter l’index en retenant les autres doigts dans la paume de la main, mais il sied de joindre l’annulaire au médius, et d’écarter un peu les autres doigts. La paume de la main doit être < ordinairement > plane, et la main tout entière doit tourner < décemment > autour du poignet, de même que le coude le long des côtés. Il est inconvenant, quand on adresse la parole à quelqu’un, de marcher trop librement, ou de remuer les pieds, à moins qu’on ne veuille lui témoigner du mépris. On ne doit pas trop écarter les jambes, comme le font les bancals et les cagneux, mais il ne faut pas aussi qu’il y ait entre elles une distance toujours égale < ni qu’on batte du pied trop souvent et sans raison >.
On suivra à ce sujet les leçons des maîtres de danse, qu’il sera bon de consulter < et d’écouter dans ce qui regarde leur art >. L’attention que l’on portera aux manières d’un homme poli et bien élevé suffira pour que nous remarquions nos propres défauts. Quand on doit exprimer les plus vives émotions, il est permis de s’écarter de ces règles, à la condition, cependant, d’observer toujours les bienséances [decorum]. >