THESIS / THÈSE
Combien peut-il y avoir de questions sur chaque chose ? R. Deux : l’une, générale, que l’on appelle Thèse en grec, et Proposition en latin ; l’autre, particulière, dont la dénomination est Hypothèse en grec et Cause ou Controverse en latin.
Qu’est-ce que vous appelez question générale ou Thèse ? R. C’est celle qui n’est astreinte à aucune condition [adjunctis seu circumstantiis] de personne, de lieu, de temps, etc.
Donnez un exemple de ces deux sortes de questions. R. La Rhétorique est-elle un art que l’on doit étudier ? Voilà une question générale, indéterminée, parce qu’il n’y est fait aucune mention de personne, de lieu, de temps. Mais si je demande : les femmes doivent-elles étudier la Rhétorique ? ou bien : doit-on étudier la Rhétorique avant la Philosophie ? ou bien : doit-on étudier la Rhétorique dans les académies ou en cours privés ? Ces questions sont déterminées, parce que la question générale posée plus haut est maintenant circonscrite dans les détails [adjuncta] que nous venons d’indiquer. De Thèse ou Proposition générale, elle est devenue Hypothèse ou Cause déterminée, limitée par des détails particuliers.
Comment ramène-t-on une Hypothèse à une Thèse ? R. En ne prenant que ce qui est général. Ainsi, avez-vous à faire l’éloge de la diligence ? je louerais la vertu qui est le genre dans lequel la diligence est comprise. Avez-vous à blâmer l’ivresse ? je montrerais combien le vice en général est honteux.
[...]
CHAPITRE 1
DE LA THÈSE
Qu’est-ce que la Thèse ? R. C’est une question à laquelle ne se rattache aucune circonstance de personne, de lieu, de temps, etc., comme < celles qui sont habituellement proposées > dans les délibérations et les consultations : c’est de là que lui vient son nom, qui signifie en grec position. Cicéron l’appelle proposition et consultation, ainsi : « Faut-il faire la guerre ? », « Faut-il étudier le grec ? » Nous avons dit dans la 1re partie, chapitre 2, combien il y a de sortes de thèses.
En quoi la Thèse diffère-t-elle de l’Hypothèse ? R. C’est que la Thèse est une proposition générale, qui n’a pas de limites déterminées, tandis que l’Hypothèse est une proposition particulière, limitée, c’est-à-dire circonscrite par quelque circonstance de personne, de lieu, de temps, etc. Ainsi, cette question : Faut-il faire la guerre ? est une Thèse, parce qu’elle est universelle, infinie. Mais si l’on demande : Faut-il faire la guerre contre les Turcs, à telle époque, sur mer, ou sur terre, etc. ? Toutes ces questions sont limitées, elles constituent des Hypothèses, à proprement parler.
Quelle est l’utilité de la Thèse ou Proposition générale ? R. L’utilité en est très grande, parce que ce qu’on dit d’une manière générale peut s’appliquer à une chose en particulier, et ce qu’on prouve à propos d’un tout sert nécessairement de preuve pour les parties de ce tout. Ainsi, ai-je à faire l’éloge de la diligence ? Ce que je dirai me servira pour faire l’éloge de la vertu. Ai-je à blâmer l’inertie ? Je commencerai par peindre le vice, proposition générale : < ce que je dirai de la vertu pourra être dit de la diligence > et ce que je dirai du vice s’appliquera à l’inertie qui est une de ses parties < tout comme la diligence est une partie de la vertu, ou une espèce de vertu >.
C’est pourquoi, lorsqu’on aura à faire un discours sur un sujet quelconque, il sera bon de traiter la question générale ou thèse, dont il dépend, pour arriver à la question particulière ou hypothèse : il faudra le faire avec jugement et de manière appropriée, comme nous en avons averti, 1re partie, chapitre 9.
Comment doit-on traiter une thèse ? R. On commencera par un exorde tiré du lieu, du temps et d’autres circonstances. Ainsi, la délibération doit-elle avoir lieu au Sénat, en présence du prince ? etc. En second lieu, la thèse doit être confirmée ou infirmée à l’aide des lieux et des arguments employés ordinairement pour persuader ou pour dissuader. Ce sont : l’honnête, le légitime, l’utile, le facile, le nécessaire et leurs contraires, le honteux, l’injuste, l’inutile, le difficile, l’impossible ; ainsi : on ne doit pas faire la guerre, parce que la chose est en elle-même honteuse, indigne de l’homme, inutile au bonheur de la République. Elle est difficile < enfin > : « il est bien difficile que se produise, il est bien difficile qu’advienne un bon résultat ». Si nous prenons le contraire, nous dirons : « il faut faire la guerre, parce qu’elle est honorable, utile », etc. En troisième lieu, il faut résoudre les objections que l’on pourrait faire à < la partie de > la thèse que vous entreprenez de défendre. Ainsi : voulez-vous affirmer qu’il faut faire la guerre, vous répondez à ceux qui prétendent le contraire < et soutiennent qu’elle est la source de nombreux crimes, la ruine des provinces, etc. >. Si, par contre, vous dites qu’il ne faut pas la faire, il faudra réfuter les arguments opposés.