Joseph de Jouvancy, 1710 : Candidatus rhetoricae

Définition publiée par Mattana-Basset

Joseph de Jouvancy, L’Élève de rhétorique (Candidatus rhetoricae, 1e éd. 1710, 1e trad. 1892), édité par les équipes RARE et STIH sous la direction de D. Denis et Fr. Goyet, Paris, Classiques Garnier, 2019, première partie, "Comprenant les premiers éléments de rhétorique relatifs à l'invention", chap. II, "Du sujet de la rhétorique", p. 62-65 et cinquième partie, "Exercices préparatoires < d'Aphthonius >", V. "Cinquième exercice préparatoire, De la thèse et du lieu commun", chap. I, "De la thèse", p. 374-377. 

Définition publiée par RARE, le 07 juin 2020
 

Combien peut-il y avoir de questions sur chaque chose ? R. Deux : l’une, générale, que l’on appelle Thèse en grec, et Proposition en latin ; l’autre, particulière, dont la dénomination est Hypothèse en grec et Cause ou Controverse en latin.

Qu’est-ce que vous appelez question générale ou Thèse ? R. C’est celle qui n’est astreinte à aucune condition [adjunctis seu circumstantiis] de personne, de lieu, de temps, etc.

Donnez un exemple de ces deux sortes de questions. R. La Rhétorique est-elle un art que l’on doit étudier ? Voilà une question générale, indéterminée, parce qu’il n’y est fait aucune mention de personne, de lieu, de temps. Mais si je demande : les femmes doivent-elles étudier la Rhétorique ? ou bien : doit-on étudier la Rhétorique avant la Philosophie ? ou bien : doit-on étudier la Rhétorique dans les académies ou en cours privés ? Ces questions sont déterminées, parce que la question générale posée plus haut est maintenant circonscrite dans les détails [adjuncta] que nous venons d’indiquer. De Thèse ou Proposition générale, elle est devenue Hypothèse ou Cause déterminée, limitée par des détails particuliers.

Comment ramène-t-on une Hypothèse à une Thèse ? R. En ne prenant que ce qui est général. Ainsi, avez-vous à faire l’éloge de la diligence ? je louerais la vertu qui est le genre dans lequel la diligence est comprise. Avez-vous à blâmer l’ivresse ? je montrerais combien le vice en général est honteux.

 

[...]

 

CHAPITRE 1

DE LA THÈSE

 

Qu’est-ce que la Thèse ? R. C’est une question à laquelle ne se rattache aucune circonstance de personne, de lieu, de temps, etc., comme < celles qui sont habituellement proposées > dans les délibérations et les consultations : c’est de là que lui vient son nom, qui signifie en grec position. Cicéron l’appelle proposition et consultation, ainsi : « Faut-il faire la guerre ? », « Faut-il étudier le grec ? » Nous avons dit dans la 1re partie, chapitre 2, combien il y a de sortes de thèses.

En quoi la Thèse diffère-t-elle de l’Hypothèse ? R. C’est que la Thèse est une proposition générale, qui n’a pas de limites déterminées, tandis que l’Hypothèse est une proposition particulière, limitée, c’est-à-dire circonscrite par quelque circonstance de personne, de lieu, de temps, etc. Ainsi, cette question : Faut-il faire la guerre ? est une Thèse, parce qu’elle est universelle, infinie. Mais si l’on demande : Faut-il faire la guerre contre les Turcs, à telle époque, sur mer, ou sur terre, etc. ? Toutes ces questions sont limitées, elles constituent des Hypothèses, à proprement parler.

Quelle est l’utilité de la Thèse ou Proposition générale ? R. L’utilité en est très grande, parce que ce qu’on dit d’une manière générale peut s’appliquer à une chose en particulier, et ce qu’on prouve à propos d’un tout sert nécessairement de preuve pour les parties de ce tout. Ainsi, ai-je à faire l’éloge de la diligence ? Ce que je dirai me servira pour faire l’éloge de la vertu. Ai-je à blâmer l’inertie ? Je commencerai par peindre le vice, proposition générale : < ce que je dirai de la vertu pourra être dit de la diligence > et ce que je dirai du vice s’appliquera à l’inertie qui est une de ses parties < tout comme la diligence est une partie de la vertu, ou une espèce de vertu >. 

C’est pourquoi, lorsqu’on aura à faire un discours sur un sujet quelconque, il sera bon de traiter la question générale ou thèse, dont il dépend, pour arriver à la question particulière ou hypothèse : il faudra le faire avec jugement et de manière appropriée, comme nous en avons averti, 1re partie, chapitre 9.

Comment doit-on traiter une thèse ? R. On commencera par un exorde tiré du lieu, du temps et d’autres circonstances. Ainsi, la délibération doit-elle avoir lieu au Sénat, en présence du prince ? etc. En second lieu, la thèse doit être confirmée ou infirmée à l’aide des lieux et des arguments employés ordinairement pour persuader ou pour dissuader. Ce sont : l’honnête, le légitime, l’utile, le facile, le nécessaire et leurs contraires, le honteux, l’injuste, l’inutile, le difficile, l’impossible ; ainsi : on ne doit pas faire la guerre, parce que la chose est en elle-même honteuse, indigne de l’homme, inutile au bonheur de la République. Elle est difficile < enfin > : « il est bien difficile que se produise, il est bien difficile qu’advienne un bon résultat ». Si nous prenons le contraire, nous dirons : « il faut faire la guerre, parce qu’elle est honorable, utile », etc. En troisième lieu, il faut résoudre les objections que l’on pourrait faire à < la partie de > la thèse que vous entreprenez de défendre. Ainsi : voulez-vous affirmer qu’il faut faire la guerre, vous répondez à ceux qui prétendent le contraire < et soutiennent qu’elle est la source de nombreux crimes, la ruine des provinces, etc. >. Si, par contre, vous dites qu’il ne faut pas la faire, il faudra réfuter les arguments opposés.