Joseph de Jouvancy, 1710 : Candidatus rhetoricae

Définition publiée par Mattana-Basset

Joseph de Jouvancy, L’Élève de rhétorique (Candidatus rhetoricae, 1e éd. 1710, 1e trad. 1892), édité par les équipes RARE et STIH sous la direction de D. Denis et Fr. Goyet, Paris, Classiques Garnier, 2019, troisième partie, "De l'élocution", chap. I, "De la période", art. I, "Définition, parties et emploi de la période", "membre de la période", p. 152-155. 

Définition publiée par RARE, le 16 juin 2020

 

Quelles sont les parties qui composent une période ? R. Ce sont les majeures qu’on appelle membres de la période, en grec cola, et les mineures ou incises, nommées en grec commata.

Qu’est-ce qu’un membre de la période ? R. C’est la partie majeure de la période, dont le sens est imparfait [imperfectum] et qui dépend des antécédents ou des conséquents : ainsi, si tu avais porté secours à ton ami dans la peine ; voilà le premier membre de la période, il doit être suivi d’un autre ; par exemple : il n’aurait jamais éprouvé un si grand malheur, c’est le second membre de la période ; il dépend du premier.

Quelles sont les qualités d’un membre de période ? R. Il y en a trois : la première, c’est qu’on y trouve un sens. Or tout verbe actif ou passif accompagné de son régime, comme le disent les grammairiens, forme un sens tel que celui-ci : « porter secours à un ami dans la peine » ; la seconde qualité, c’est que ce sens soit imparfait et dépende d’un autre membre de la période : « si tu lui avais porté secours, etc. » ; la troisième qualité, c’est que ce membre ne soit pas trop long : « il n’aurait jamais éprouvé un si grand malheur ». Les rhéteurs en limitent la longueur, en disant qu’il doit être tel qu’on puisse commodément l’achever sans reprendre haleine. C’est à peu près la dimension du vers hexamètre composé de six pieds ; on peut sans peine le débiter sans reprendre haleine. Observons cependant que cette dimension n’est pas tellement rigoureuse, qu’on ne puisse la dépasser, surtout si l’orateur peut, sans reprendre haleine, prononcer un grand nombre de mots, ou si la gravité de la circonstance demande une longue phrase.

Qu’est-ce que l’Incise R. C’est la partie du membre de la période qui, par elle-même, n’a pas un sens et une longueur qui lui soient propres. Elle ne renferme pas, en effet, un verbe, et elle n’a pas la dimension d’un vers hexamètre. Telle est cette incise : dans cette pénible conjoncture, ou bien dans ces temps troublés, ajoutez un verbe, par exemple il n’est personne, vous aurez un membre de période. Joignez à ce membre deux nouvelles incises avec leur verbe, vous aurez un autre membre et une période complète : « Dans cette pénible conjoncture, dans ces temps troublés, il n’est personne qui ne préfère être partout ailleurs (première incise) que là où vous êtes (deuxième incise) ». Voici encore une période à deux membres, dans laquelle chacun est accompagné d’incises : « La fécondité du sol et l’abondance de toutes choses qui < à Capoue > a efféminé les Carthaginois, a de même, en Grèce et en Syrie, amolli les Romains captivés par les attraits des plaisirs qu’ils y trouvaient ».

De combien de membres une période peut-elle être composée ? R. D’un, de deux, de trois ou de quatre, quelquefois même il y en a plus, mais c’est rare. La période d’un seul membre s’appelle monocolos ; celle de deux membres, dicolos ; celle de trois membres, tricolos ; celle de quatre membres, tetracolos. Nous donnerons plus bas des exemples de chacune de ces périodes.

Faut-il toujours employer les périodes ? R. Non, ce n’est que de temps en temps qu’on peut employer les périodes et les incises, et qu’on dresse les figures et l’amplification comme armes d’attaque et de défense. La période s’emploie ordinairement dans les exordes, dans les majeures de syllogisme, etc.

Qu’est-ce que parler en forme de période ? R. C’est en faire un fréquent usage ; mais alors il faut avoir grand soin de ne pas donner à toutes le même nombre de membres ; il doit y avoir un mélange de périodes plus courtes et d’autres plus longues.

Qu’est-ce que parler par membres ou par incises ? R. C’est employer divers membres et différentes incises que ne rattache aucun lien, ainsi : « La nature a créé ce prince pour régner ; la vertu lui a enseigné la piété ; la fortune l’a élevé au trône ; la vaillance lui a donné la victoire comme couronne ». Rattachez ces membres par quelque lien et vous aurez la période suivante : « La nature n’a pas créé seulement ce prince pour régner, la vertu ne lui a pas seulement enseigné la piété, la fortune ne l’a pas seulement élevé au trône, mais la valeur l’a encore couronné de victoires ». Citons, comme exemple d’incises, la phrase suivante : « Les enfants n’ont d’autre chose à faire que jouer, rire, courir de côté et d’autre, s’amuser et n’écouter que leur fantaisie ». < De même : « L’humilité chrétienne aime la modération, cherche la retraite, veut être méprisée, est tourmentée par les honneurs ». De même, tiré du Pour Archias : « Les lettres servent d’aliment à l’adolescence et d’amusement à la vieillesse ; les lettres embellissent nos jours prospères, et nous offrent dans le malheur un refuge, une consolation : charme du cabinet, elles ne gênent point au dehors ; elles veillent avec nous, elles nous accompagnent dans nos voyages, elles nous suivent encore aux champs. » >

En quoi une période peut-elle être défectueuse ? R. En étant peu harmonieuse [parum compta et numerosa], obscure, trop longue, remplie de mots inutiles qui ne flattent que l’oreille [numero tantum auribusqueen se terminant toujours de la même manière.

De quelle utilité la période est-elle dans le discours ? R. Grâce à elle, les mots arrivent plus harmonieusement [suavius] aux oreilles et pénètrent dans l’esprit plus doucement et plus facilement [molliusque ac facilius].