Jean-Baptiste Crevier, 1765 : Rhétorique française

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Jean-Baptiste Crevier, Rhétorique française (1765), Paris, Saillant, 1767, 2 tomes, t. 1, p. 337-338.

Exorde ab abrupto.

Il est des occasions où l’Exorde n’a point lieu, & doit s’omettre entiérement. Je ne connois qu’un cas de cette espece dans le genre judiciaire : c’est lorsque le sujet est si mince & de si petite considération, qu’il veut être traité sommairement, & ne comporte l’appareil d’aucun préliminaire. Dans le genre délibératif au contraire, si la chose est extrêmement grave, & excite par elle-même de violens sentimens d’indignation, de crainte, & autres semblables, en supposant d’ailleurs qu’elle soit suffisamment connue des auditeurs, l’Orateur doit tout d’un coup s’annoncer ému & agité des passions qu’exige la matiere : la lenteur & le flegme de l’Exorde ne lui conviennent point. Il faut qu’il vienne d’abord au fait, & avec mouvement & transport. Tout le monde connoît le début impétueux de la premiere Catilinaire, sur lequel ont été faites, je pense, les regles que je viens d’exposer. « Jusqu’à quand, Catilina, abuserez-vous de notre patience ? Combien de tems encore ferez-vous de nous le jouet de vos fureurs ? Jusqu’à quel terme s’emportera votre audace effrénée ? » Cette véhémence étoit placée, & même nécessaire. Heureusement des circonstances semblables à celle qui animoit alors le zele de Cicéron, ne sont pas fréquentes. Les Rhéteurs ont donné un nom à cette sorte d’Exorde, qui n’en est point un. Ils l’ont nommé Exorde ab abrupto, c’est-à-dire, brusque & sans préparation. Il sort des regles, & ne peut être regardé que comme une exception rare que la nécessité des circonstances arrache à la loi commune.