DISPOSITIO / DISPOSITION
La Disposition, dans l’art oratoire, consiste à mettre en ordre toutes les parties fournies par l’Invention, selon la nature et l’intérêt du sujet qu’on traite. La fécondité de l’esprit brille dans l’invention; la prudence et le jugement dans la disposition.
[p. 66] Il ne suffit pas de montrer à l’esprit beaucoup de choses, dit Montesquieu: il faut les lui montrer avec ordre; alors nous nous ressouvenons de ce que nous avons vu, et nous commençons à imaginer ce que nous verrons; notre ame se félicite de son étendue et de sa pénétration. Mais dans un ouvrage où il n’y a point d’ordre, l’ame sent à chaque instant troubler celui qu’elle y veut mettre.
Quiconque ne sent pas la beauté et la force de l’unité et de l’ordre, n’a encore rien vu au grand jour; il n’a vu que des ombres dans la caverne de Platon (Fénelon. Voy. la République, liv. VII, édit. d’Henri Estienne, tom. II, pag. 514; ou les Pensées de Platon, seconde édition, pag. 88.)
C’est faute de plan, c’est pour n’avoir pas assez réfléchi sur son objet, qu’un homme d’esprit se trouve embarrassé, et ne sait par où commencer à écrire. Il aperçoit à la fois un grand nombre d’idées; et, comme il ne les a ni comparées ni subordonnées, rien ne le détermine à préférer les unes aux autres; il demeure donc dans la perplexité: mais, lorsqu’il se sera fait un plan, lorsqu’une fois il aura rassemblé et mis en ordre toutes les pensées essentielles à son sujet, il sentira aisément le point de maturité de la production de l’esprit; il sera pressé de la faire éclore; les idées se succéderont sans peine, et le style sera naturel et facile (Buffon)
Les rhéteurs comptent six parties du discours [p. 67] oratoire, non qu’elles y entrent toutes, ni toujours essentiellement, mais parce qu’elles y peuvent entrer; savoir: l’exorde, la proposition (où la division se trouve comprise), la narration, la preuve ou confirmation, la réfutation, la péroraison.
Dans la plupart des causes, les avocats se contentent de bien narrer les faits, d’établir solidement leurs moyens, et de répondre à ceux de leur partie adverse. Les exordes et les péroraisons n’ont lieu que dans les grands sujets.
Il nous semble à propos de faire précéder ces règles d’une observation générale, qu’on a trop souvent négligée: « A la disposition régulière, dit Cicéron (« Rhetor. ad Herennium, III, 9. »), il faut joindre une autre sorte de disposition qui s’écarte de la rigueur des préceptes, et s’accommode aux circonstances. L’orateur peut, selon le besoin de sa cause, commencer par la narration, ou par quelque argument solide, ou par la lecture de quelque pièce; ou bien, aussitôt après l’exorde, il arrive à la preuve, et la fait suivre de la narration; il peut se permettre quelques autres changements semblables dans l’ordre usité, pourvu qu’il ne les fasse jamais que si sa cause le demande. Par exemple, si les oreilles de l’auditeur sont fatiguées, si sa patience est épuisée par les longs discours de l’adversaire, il vaudra mieux se dispenser de l’exorde, et placer dès l’abord le récit des faits, ou quelque argument victorieux. Ensuite, si vous le jugez nécessaire (car il n’en est pas toujours [p. 68] ainsi), vous pouvez revenir à l’idée principale de cet exorde supprimé... Quand la narration vous paraîtra peu favorable à la cause, vous mettrez en tête une des meilleures preuves. Ces changements et ces transpositions deviennent quelquefois indispensables, et l’art même vous ordonne alors de renoncer aux préceptes de l’art sur l’ordre du discours. »