CONCESSIO / CONCESSION
Concession.
< Manchette : Usages de la Concession pour fortifier la preuve.>
La Concession, aussi bien que la Communication, regarde l’adverse partie, à qui l’Orateur accorde ce qu’il seroit en droit de lui contester. Cette Figure ajoute une grande force au raisonnement, & elle donne une idée avantageuse de la bonté d’une [t. II, p. 220] cause, dans laquelle l’Avocat ne profite point de tous ses avantages, & se relâche sur une partie de ce qu’il pourroit prétendre & soutenir. Quelle doit donc être la Justice de ce qu’il demande, & l’évidence de ce qu’il affirme ?
Dans la cause pour la Dame de Boudeville <T. IV. p. 354>, M. Cochin vouloit écarter & faire rejetter la preuve testimoniale qu’offroit la partie adverse. On lui objectoit que cette nature de preuve étoit la premiere & la plus ancienne. L’habile Avocat ne s’amuse point à contester le fait de l’antiquité : il le suppose ; & il en tire une conséquence toute contraire à celle que l’on prétendoit en tirer contre lui, « Si la proposition étoit exacte, dit-il, la seule conséquence que l’on en pourroit tirer, est qu’elle (la preuve testimoniale) ne subsiste plus ; & qu’il n’est plus permis d’y avoir recours. » Il prouve cette conséquence, & la met dans le plus beau jour. « Avant que les Etats, ajoute-t-il, fussent disciplinés par des loix, dont de profondes réflexions ont fait sentir la nécessité, on pouvoit admettre arbitrairement toute sorte de preuves, [t. II, p. 221] & la preuve testimoniale comme les autres : la police publique n’étoit point encore perfectionnée : on marchoit, pour ainsi dire, au hasard. Mais l’expérience ayant fait connoître combien il étoit dangereux d’y mettre sa confiance, on leur a substitué des preuves d’une autre nature, des preuves écrites, des registres publics, plus propres à fixer l’état des hommes. C’est donc à ce dernier genre de preuves qu’il faut se réduire, sans être touché de l’antiquité des autres, puisque ce caractere ne sert qu’à faire connoître qu’on a été obligé de les abroger. » L’Orateur, en accordant aux adversaires ce qu’ils avancent, sert bien mieux sa cause, que s’il eût entrepris de nier le fait. Il le tourne contre eux, & il en déduit la preuve de sa proposition fondamentale.
< Manchette : Pour exciter l'indignation & la pitié.>
La Concession, mise dans la bouche du foible opprimé, est tout-à-fait propre à exciter l’indignation contre l’oppresseur. C’est le cas où se trouvoit Sextus Roscius, à qui Chrysogonus affranchi de Sylla, avoit déjà ôté les biens, & qu’il faisoit poursuivre encore, comme coupable de parricide, [t. II, p. 222] pour parvenir à le priver de la vie. Cicéron, qui défendoit la cause de l’innocent persécuté <Pro Sext. Rosc. n. 145>, le fait parler ainsi à son cruel persécuteur. « Vous possédez mes terres, & moi je suis réduit à implorer la compassion d’autrui pour pouvoir vivre : j’y consens, & parce que la moderation est dans mon caractere, & parce que la nécessité m’y contraint. Ma maison vous est ouverte, & l’entrée m’en est interdite. Je prends patience. Mes esclaves en grand nombre sont employés à faire vos volontés ; & moi je n’en ai pas un pour me servir. Je ne m’en plains point. Mais que voulez-vous de plus ? Pourquoi me poursuivez-vous encore ? Pourquoi vous acharnez-vous sur moi ? Quel est le brigand si féroce, le corsaire si barbare, qui veuille ensanglanter sa proie, lorsqu’il peut l’avoir toute entiere sans verser le sang ? » Le consentement de l’opprimé à souffrir l’injustice augmente infiniment & la pitié pour lui-même, & l’indignation contre son avide & impitoyable ennemi.