METONYMIA / MÉTONYMIE
Définitions
94 : Quintilien
Quintilien, De l’Institution de l’orateur, trad. Nicolas Gédoyn, Paris, Grégoire Dupuis, 1718, livre huitième, chap. VI, « Des Tropes », p. 546-548.
1660 : Bary
René Bary, La Rhetorique Francoise Ou L'On Trouve de nouveaux Exemples sur les Passions & sur les Figures. Ou l'On Traite à Fonds de la Matière des Genres Oratoires, Paris, Pierre le Petit, 1660, troisième partie, « De la Métonymie », p. 342
1662 : Jacques du Roure
Jacques Du Roure, La Rhétorique française nécessaire à tous ceux qui veulent parler, ou écrire comme il faut et faire ou juger : des discours familiers, des lettres, des harangues, des plaidoyers, et des prédications, Paris, chez l’Auteur, 1662, Troisième partie, p. 23.
1671 : Le Gras
Le Gras, La Rhetorique Françoise ou les preceptes de l'ancienne et vraye eloquence accomodez à l'usage des conversations & de la Societé civile : Du Barreau : Et de la Chaire, Paris, A. de Rafflé, 1671, Troisième partie de la Rethorique, « De l'Elocution », chap. III, « Des Tropes », p. 192-193.
1710 : Joseph de Jouvancy
Joseph de Jouvancy, L’Élève de rhétorique (Candidatus rhetoricae, 1e éd. 1710, 1e trad. 1892), édité par les équipes RARE et STIH sous la direction de D. Denis et Fr. Goyet, Paris, Classiques Garnier, 2019, troisième partie, "De l'élocution", chap. II, "Des figures", art. I, "Des Figures de Mots", §1. "Des Tropes", "La métonymie", p. 172-173.
1712 : Bernard Lamy
Bernard Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler (5ème éd., 1712), éd. Ch. Noille-Clauzade (1998), Paris, Florentin Delaulne, 1715, p. 119-120.
1765 : Jean-Baptiste Crevier
Jean-Baptiste Crevier, Rhétorique française (1765), Paris, Saillant, 1767, 2 tomes, t. 2, p. 101-112.
1782 : Pierre Thomas Nicolas Hurtaut
P. T. N. Hurtaut, Manuale rhetorices ad usum studiosae juventutis academicae, Exemplis tum Oratoriis, tu Poeticis, editio tertia, Paris, chez l'auteur, 1782, troisième section "De Elocutione", chapitre II "De Sermonis Dignitate", "Primum genus Troporum, III "De Metonymiâ", p. 179-180.
1872 : Colonia
Dominique De Colonia, De Arte rhetorica libri quinque, Lyon, apud Briday Bibliopolam, 1872, Liber Primus, chap. I, art. II, "De Figuris verborum", § I, "De Tropis", II., "De Metonymia", p 93-94.
Dictionnaires et encyclopédies
CN. [Hurtaut : synonyme : Hypallage]
Furetière
Figure de Rhetorique, qui se fait quand il y a quelque changement de noms, comme quand on met l’Inventeur pour la chose inventée, Bacchus pour le vin, Cerés pour le pain ; le contenant pour le contenu, comme un verre pour le vin qui est dedans ; ou l’effet pour la cause, ou le Capitaine pour ses Soldats, La Grece pour les Grecs, l’Auteur pour son ouvrage, et dans les phrases contraires en mille occasions.
Encyclopédie
Le mot de métonymie vient de μετὰ, qui dans la composition marque changement, & de ὄνομα, nom ; ce qui signifie transposition ou changement de nom, un nom pour un autre.
En ce sens cette figure comprend tous les autres tropes ; car dans tous les tropes, un mot n’étant pas pris dans le sens qui lui est propre, il réveille une idée qui pourroit être exprimée par un autre mot. Nous remarquerons dans la suite ce qui distingue la métonymie des autres tropes. Voyez Synecdoque.
Les maîtres de l’art restraignent la métonymie aux usages suivans.
I. La cause pour l’effet. Par exemple : vivre de son travail, c’est-à-dire, vivre de ce qu’on gagne en travaillant.
Les Payens regardoient Cérès comme la déesse qui avoit fait sortir le blé de la terre, & qui avoit appris aux hommes la maniere d’en faire du pain : ils croyoient que Bacchus étoit le dieu qui avoit trouvé l’usage du vin ; ainsi ils donnoient au blé le nom de Cérès, & au vin le nom de Ba chus : on en trouve un grand nombre d’exemples dans les poëtes.
Virgile, Æn. I. 219. a dit, un vieux Bacchus, pour du vin vieux :
Implentur veteris Bacchi.
Madame des Houlieres a fait une balade, dont le refrein est,
L’Amour languit sans Bacchus & Cérès :
c’est la traduction de ce passage de Terence, Eun. IV. 6.
Sine Cerere & Libero friget Venus :
c’est-à-dire, qu’on ne songe guere à faire l’amour, quand on n’a pas de quoi vivre.
Virgile, Æn. I. 181. a dit :
Tum Cererem corruptam undis cerealiaque arma
Expediunt fessi rerum.
Scarron dans sa traduction burlesque, liv. I. se sert d’abord de la même figure ; mais voyant bien que cette façon de parler ne seroit point entendue en notre langue, il en ajoute l’explication :
Lors fut des vaisseaux descendue
Toute la Cérès corrompue ;
En langage un peu plus humain,
C’est ce de quoi l’on fait du pain.
Ovide a dit, Trist. IV. v. 4. qu’une lampe prête à s’éteindre, se rallume quand on y verse Pallas :
Cujus ab alloquiis anima hœc moribunda revixit,
Ut vigil infusâ Pallade flamma solet :
Pallas, c’est-à-dire, de l’huile. Ce fut Pallas, selon la fable, qui la premiere fit sortir l’olivier de la terre, & enseigna aux hommes l’art de faire de l’huile ; ainsi Pallas se prend pour l’huile, comme Bacchus pour le vin.
On rapporte à la même espece de figure les façons de parler où le nom des dieux du paganisme se prend pour la chose à quoi ils présidoient, quoiqu’ils n’en fussent pas les inventeurs. Jupiter se prend pour l’air, Vulcain pour le feu. Ainsi pour dire, où vas tu avec ta lanterne ? Plaute a dit, Amph. I. j. 185.
Quò ambulas tu, qui Vulcanum in cornu conclusum geris ?
(Où vas-tu, toi qui portes Vulcain enfermé dans une corne) ?
Et Virgile, Æn. V. 662. furit Vulcanus : & encore au I. liv. des Georgiques, voulant parler du vin cuit ou du raisiné que fait une ménagere de la campagne, il dit qu’elle se sert de Vulcain pour dissiper l’humidité du vin doux :
Aut dulcis musti Vulcano decoquit humorem. v. 295.
Neptune se prend pour la mer ; Mars, le dieu de la guerre, se prend souvent pour la guerre même, ou pour la fortune de la guerre, pour l’événement des combats, l’ardeur, l’avantage des combattans. Les historiens disent souvent qu’on a combattu avec un Mars egal, œquo Marte pugnatum est, c’est-à-dire, avec un avantage égal ; ancipiti Marte, avec un succès douteux ; vario Marte, quand l’avantage est tantôt d’un côté & tantôt de l’autre.
C’est encore prendre la cause pour l’effet, que de dire d’un général ce qui, à la lettre, ne doit être entendu que de son armée : il en est de même lorsqu’on donne le nom de l’auteur à ses ouvrages ; il a lu Cicéron, Horace, Virgile, c’est–à-dire, les ouvrages de Cicéron, &c. Jesus-Christ lui-même s’est servi de la métonymie en ce sens, lorsqu’il a dit, parlant des Juifs, Luc. xvj. 29. Habent Moisen & prophetas, ils ont Mo se & les prophetes, c’est-à-dire, ils ont les livres de Moïse & ceux des prophetes.
On donne souvent le nom de l’ouvrier à l’ouvrage : on dit d’un drap que c’est un Van-Robais, un Rousseau, un Pagnon, c’est-à-dire, un drap de la manufacture de Van-Rabais, ou de celle de Rousseau, &c. C’est ainsi qu’on donne le nom du peintre au tableau : on dit, j’ai vu un beau Rembrant, pour dire un beau tableau fait par le Rembrant. On dit d’un curieux en estampes, qu’il a un grand nombre de Callots, c’est-à-dire, un grand nombre d’estampes gravées par Callot.
On trouve souvent dans l’Ecriture-sainte, Jacob, Israël, Juda, qui sont des noms de patriarches, pris dans un sens étendu pour marquer tout le peuple juif. M. Fléchier, Orais. fun. de M. de Turenne, parlant du sage & vaillant Machabée, auquel il compare M. de Turenne, a dit :
Cet homme qui réjouissoit Jacob par ses vertus & par ses exploits.
Jacob, c’est-à-dire le peuple juif.
Au lieu du nom de l’effet, on se sert souvent du nom de la cause instrumentale qui sert à le produire : ainsi, pour dire que quelqu’un écrit bien, c’est-à-dire, qu’il forme bien les caracteres de l’écriture, on dit qu’il a une belle main. La plume est aussi une cause instrumentale de l’écriture, & par conséquent de la composition ; ainsi plume se dit par métonymie, de la maniere de former les caracteres de l’écriture, & de la maniere de composer. Plume se prend aussi pour l’auteur même : c’est une bonne plume, c’est-à-dire, c’est un auteur qui écrit bien ; c’est une de nos meilleures plumes, c’est-à-dire, un de nos meilleurs auteurs.
Style signifie aussi par figure la maniere d’exprimer les pensées. Les anciens avoient deux manieres de former les caracteres de l’écriture. L’une étoit pingendo, en peignant les lettres ou sur des feuilles d’arbres, ou sur des peaux préparées, ou sur la petite membrane interieure de l’écorce de certains arbres : (cette membrane s’appelle en latin liber, d’où vient livre), ou sur de petites tablettes faites de l’arbrisseau papyrus, ou sur de la toile, &c. Ils écrivoient alors avec de petits roseaux, & dans la suite ils se servirent aussi de plumes comme nous. L’autre maniere d’écrire des anciens étoit incidendo, en gravant les lettres sur des lames de plomb ou de cuivre, ou bien sur des tablettes de bois enduites de cire. Or, pour graver les lettres sur ces lames ou sur ces tablettes, ils se servoient d’un poinçon qui étoit pointu par un bout & applati par l’autre : la pointe servoit a graver, & l’extrémité applatie servoit à effacer ; & c’est pour cela qu’Horace dit, I. Sat. x. 72. stylum vertere, tourner le style, pour dire effacer, corriger, retoucher a un ouvrage. Ce poinçon s’appelloit stylus, de στῦλος, columna, columella, petite colonne ; tel est le sens propre de ces mots : dans le sens figuré, il signifie la maniere d’exprimer les pensées. C’est en ce sens que l’on dit le style sublime, le style simple, le style mediocre, le style soutenu, le style grave, le style comique, le style poetique, le style de la conversation, &c. Voyez Style.
Pinceau, outre son sens propre, se dit aussi quelquefois par métonymie, comme plume, style : on dit d’un habile peintre, que c’est un savant pinceau.
Voici encore quelques exemples tirés de l’Ecriture-sainte, ou la cause est prise pour l’effet.
Si peccaverit anima,… portabit iniquitatem suam, Levit. V. 1.
elle portera son iniquité, c’est-à-dire, la peine de son iniquité.
Iram Domini portabo, quoniam peccavi ci, Mich. VII. 9.
où vous voyez que par la colere du Seigneur, il faut entendre la peine qui est une suite de la colere.
Non morabitur opus mercenarii tui apud te usquè mane, Levit. XIX. 13.
opus, l’ouvrage, c’est-à-dire, le salaire, la récompense qui est dûe à l’ouvrier à cause de son travail. Tobie a dit la même chose à son fils tout simplement, iv. 15.
Quicunque tibi aliquid operatus fuerit, statim ei mercedem restitue, & merces mercenarii tui apud te omninò non remaneat.
Le prophete Orée dit, iv. 8. que les prêtres mangeront les péchés du peuple, peccata populi mei comedent, c’est-à-dire, les victimes offertes pour les péchés.
Il. L’effet pour la cause. Comme lorsqu’Ovide, Metamorp. XII. 513. dit que le mont Pelion n’a point d’ombres, nec habet Pelion umbras ; c’est-à-dire qu’il n’a point d’arbres, qui sont la cause de l’ombre ; l’ombre, qui est l’effet des arbres, est prise ici pour les arbres mêmes.
Dans la Genese, xxv. 23. il est dit de Rébecca, que deux nations étoient en elle ;
duœ gentes sunt in utero tuo, & duo populi ex ventre tuo dividentur ;
c’est-à-dire, Esaü & Jacob, les peres des deux nations ; Jacob des Juifs, Esaü des Iduméens.
Les Poëtes disent la pâle mort, les pâles maladies ; la mort & les maladies rendent pâle ; pallidamque Pyrenen, Pers. prol. la pâle fontaine de Pyrene ; c’étoit une fontaine consacrée aux muses : l’application à la poésie rend pâle, comme toute autre application violente. Par la même raison Virgile a dit : Æn. VI. 275.
Pallentes habitant morbi, tristisque senectus :
& Horace, I. Od. iv. pallida mors. La mort, la maladie & les fontaines consacrées aux muses ne sont point pâles, mais elles produisent la pâleur : ainsi ou donne à la cause une épithete qui ne convient qu’à l’effet.
III. Le contenant pour le contenu. Comme quand on dit, il aime la bouteille, c’est-à-dire, il aime le vin. Virgile dit, Æn. I. 743. que Didon ayant présenté à Bitias une coupe d’or pleine de vin, Bitias la prit, & se lava, s’arrosa de cet or plein ; c’est-à-dire, de la liqueur contenue dans cette coupe d’or :
Ille impiger hausit
Spumantem pateram & pleno se proluit auro :
Auro est pris pour la coupe ; c’est la matiere pour la chose qui en est faite (voyez Synecdoque), ensuite la coupe est prise pour le vin.
Le ciel où les anges & les saints jouissent de la présence de Dieu, se prend souvent pour Dieu même : implorer le secours du ciel ; grace au ciel ;
pater, peccavi in cœlum & coram te,
(mon pere, j’ai péché contre le ciel & contre vous)
dit l’enfant prodigue à son pere, (Luc, ch. xv. 18.) Le ciel se prend aussi pour les dieux du paganisme.
La terre se tut devant Alexandre, (I. Machab. j. 3.)
siluit terra in conspectu ejus ;
c’est-à-dire, les peuples de la terre se soumirent à lui. Rome désapprouva la conduite d’Appius, c’est-à-dire, les Romains désapprouverent…
Lucrece a dit (V. 1250.) que les chiens de chasse mettoient une forêt en mouvement ;
sepire plagis saltum, canibusque ciere :
où l’on voit qu’il prend la forêt pour les animaux qui sont dans la forêt.
Un nid se prend aussi pour les petits oiseaux qui sont encore au nid.
Carcer (prison) se dit en latin d’un homme qui mérite la prison.
IV. Le nom du lieu où une chose se fait, se prend pour la chose même. On dit un caudebec, au lieu de dire un chapeau fait à Caudebec, ville de Normandie.
On dit de certaines étoffes, c’est une marseille, c’est-à-dire, une étoffe de la manufacture de Marseille : c’est une perse, c’est-à-dire, une toile peinte qui vient de Perse.
A-propos de ces sortes de noms, j’observerai ici une méprise de M. Ménage, qui a été suivie par les auteurs du Dictionnaire universel, appellé communément Dictionn. de Trév. c’est au sujet d’une sorte de lame d’épée qu’on appelle olinde : les olindes nous viennent d’Allemagne, & sur-tout de la ville de Solingen, dans le cercle de Westphalie : on prononce Solingue. Il y a apparence que c’est du nom de cette ville que les épées dont je parle ont été appellées des olindes par abus. Le nom d’Olinde, nom romanesque, étoit déja connu comme le nom de Sylvie ; ces sortes d’abus sont assez ordinaires en fait d’étymologie. Quoi qu’il en soit, M. Ménage & lès auteurs du Dictionnaire de Trévoux n’ont point rencontré heureusement, quand ils ont dit que les olindes ont été ainsi appellées de la ville d’Olinde dans le Brésil, d’où ils nous disent que ces sortes de lames sont venues. Les ouvrages de fer ne viennent point de ce pays-là : il nous vient du Brésil une sorte de bois que nous appellons brésil ; il en vient aussi du sucre, du tabac, du baume, de l’or, de l’argent, &c. mais on y porte le fer de l’Europe, & sur-tout le fer travaillé.
La ville de Damas en Syrie, au pié du mont Liban, a donné son nom à une sorte de sabres ou de couteaux qu’on y fait : il a un vrai damas, c’est-à-dire, un sabre ou un couteau qui a été fait à Damas. On donne aussi le nom de damas à une sorte d’étoffe de soie, qui a été fabriquée originairement dans la ville de Damas ; on à depuis imité cette sorte d’étoffe à Venise, à Gènes, à Lyon, &c. ainsi on dit damas de Venise, de Lyon, &c. On donne encore ce nom à une sorte de prune, dont la peau est fleurie de façon qu’elle imite l’étoffe dont nous venons de parler.
Faïence est une ville d’Italie dans la Romagne : on y a trouvé la maniere de faire une sorte de vaisselle de terre vernissée qu’on appelle de la faïance ; on a dit ensuite par métonymie, qu’on fait de fort belles faïances en Hollande, à Nevers, à Rouen, &c.
C’est ainsi que le Lycée se prend pour les disciples d’Aristote, ou pour la doctrine qu’Aristote enseignoit dans le Lycée. Le Portique se prend pour la Philosophie que Zénon enseignoit à ses disciples dans le Portique… on ne pense point ainsi dans le Lycée, c’est-à-dire, que les disciples d’Aristote ne sont point de ce sentiment… le Portique n’est pas toûjours d’accord avec le Lycée, c’est-à-dire, que les sentimens de Zénon ne sont pas toûjours conformes à ceux d’Aristote. Rousseau, pour dire que Cicéron dans sa maison de campagne méditoit la Philosophie d’Aristote & celle de Zénon, s’explique en ces termes : (liv. II. od. iij.)
C’est-là que ce romain, dont l’éloquente voix
D’un joug presque certain sauva sa république,
Fortifioit son cœur dans l’étude des loix
Et du Lycée & du Portique.
Académus laissa près d’Athènes un héritage où Platon enseigna la Philosophie. Ce lieu fut appellé académie, du nom de son ancien possesseur ; de-là la doctrine de Platon fut appellée l’académie. On donne aussi par extension le nom d’académie à différentes assemblées de savans, qui s’appliquent à cultiver les Langues, les Sciences, ou les beaux Arts.
Robert Sorbon, confesseur & aumônier de saint Louis, institua dans l’université de Paris cette fameuse école de Théologie, qui, du nom de son fondateur, est appellée sorbonne : le nom de sorbonne se prend aussi par figure pour les docteurs de sorbonne, ou pour les sentimens qu’on y enseigne : la sorbonne enseigne que la puissance ecclésiastique ne peut ôter aux rois les couronnes que Dieu a mises sur leurs têtes, ni dispenser leurs sujets du serment de fidélité.
Regnum meum non est de hoc mundo. Joann. xviij. 36.
V. Le signe pour la chose signifiée.
Dans ma vieillesse languissante,
Le sceptre que je tiens pese à ma main tremblante : (Quin. Phaët. II. v.)
c’est-à-dire, je ne suis plus dans un âge convenable pour me bien acquitter des soins que demande la royauté. Ainsi le sceptre se prend pour l’autorité royale ; le bâton de maréchal de France, pour la dignité de maréchal de France ; le chapeau de cardinal, & même simplement le chapeau, se dit pour le cardinalat.
L’épée se prend pour la profession militaire ; la robe, pour la magistrature & pour l’état de ceux qui suivent le barreau. Corneille dit dans le Menteur : (act. I. sc. j.)
A la fin j’ai quitté la robe pour l’épée.
Cicéron a dit que les armes doivent céder à la robe :
Cedant arma togœ, concedat laurea linguœ ;
C’est-à-dire, comme il l’explique lui-même, (orat. in Pison. n. lxxiij. aliter xxx.) que la paix l’emporte sur la guerre, & que les vertus civiles & pacifiques sont préférables aux vertus militaires :
more poëtarum locutus hoc intelligi volui, bellum ac tumultum paci atque otio concessurum.
La lance, dit Mézerai, (Hist. de Fr. in-fol. tom. III. pag. 900.) étoit autrefois la plus noble de toutes les armes dont se servissent les gentilshommes françois :
la quenouille étoit aussi plus souvent qu’aujourd’hui entre les mains des femmes. De-là on dit en plusieurs occasions lance pour signifier un homme, & quenouille pour marquer une femme. Fief qui tombe de lance en quenouille, c’est-à-dire, qui passe des mâles aux femmes. Le royaume de France ne tombe point en quenouille, c’est-à-dire, qu’en France les femmes ne succedent point à la couronne : mais les royaumes d’Espagne, d’Angleterre & de Suede, tombent en quenouille ; les femmes peuvent aussi succéder à l’empire de Moscovie.
C’est ainsi que du tems des Romains les faisceaux se prenoient pour l’autorité consulaire ; les aigles romaines pour les armées des Romains qui avoient des aigles pour enseignes. L’aigle qui est le plus fort des oiseaux de proie, étoit le symbole de la victoire chez les Egyptiens.
Saluste a dit que Catilina, après avoir rangé son armée en bataille, fit un corps de réserve des autres enseignes, c’est-à-dire, des autres troupes qui lui restoient :
reliqua signa in subsidiis arctiùs collocat.
On trouve souvent dans les auteurs latins pubes, poil follet, pour dire la jeunesse, les jeunes gens : c’est ainsi que nous disons familierement à un jeune homme, vous êtes une jeune barbe, c’est-à-dire, vous n’avez pas encore assez d’expérience. Canities, les cheveux blancs, se prend aussi pour la vieillesse.
Non deduces canitiem ejus ad inferos (III. Reg. ij. 6.)
Deducetis canos meos cum dolore ad inferos. (Gen. xlij. 38.)
Les divers symboles dont les anciens se sont servis, & dont nous nous servons encore quelquefois pour marquer ou certaines divinités, ou certaines nations, ou enfin les vices & les vertus ; ces symboles, dis-je, sont souvent employés pour marquer la chose dont ils sont le symbole. Boileau dit dans son ode sur la prise de Namur :
En-vain au lion belgique
Il voit l’aigle germanique
Uni sous les léopards :
Par le lion belgique, le poëte entend les Provinces-Unies des Pays Bas, par l’aigle germanique, il entend l’Allemagne ; & par les léopards, il désigne l’Angleterre, qui a des léopards dans ses armoiries.
Mais qui fait enfler la Sambre
Sous les jumeaux effrayés ? (id. ibid.)
Sous les jumeaux, c’est-à-dire, à la fin du mois de Mai & au commencement du mois de Juin Le roi assiégea Namur le 26 de Mai 1692, & la ville fut prise au mois de Juin suivant. Chaque mois de l’année est designé par un signe, vis-à-vis duquel le soleil se trouve depuis le 21 d’un mois ou environ, jusqu’au 21 du mois suivant.
Sunt aries, taurus, gemini, cancer, leo, virgo,
Libraque, scorpius, arcitenens, caper, amphora, pisces.
Aries, le bélier, commence vers le 21 du mois de Mars, ainsi de suite.
Les villes, les fleuves, les régions, & même les trois parties du monde avoient autrefois leurs symboles, qui étoient comme des armoiries par lesquelles on les distinguoit les unes des autres. Montf. Antiq. explic. tom. III. p. 183.
Le trident est le symbole de Neptune : le paon est le symbole de Junon : l’olive ou l’olivier est le symbole de la paix & de Minerve, déesse des beaux Arts : le laurier étoit le symbole de la victoire ; les vainqueurs étoient couronnés de laurier, même les vainqueurs dans les Arts & dans les Sciences, c’est-à-dire, ceux qui s’y distinguoient au dessus des autres. Peut-être qu’on en usoit ainsi à l’égard de ces derniers, parce que le laurier étoit consacré à Apollon : dieu de la poésie & des beaux Arts. Les poëtes étoient sous la protection d’Apollon & de Bacchus ; ainsi ils étoient couronnés quelquefois de laurier, & quelquefois de lierre :
doctarum ederœ prœmia frontium. Horat. I. od. I. xxix.
La palme étoit aussi le symbole de la victoire. On dit d’un saint qu’il a remporté la palme du martyre : il y a dans cette expression une métonymie, palme se prend pour victoire ; & de plus l’expression est métaphorique, la victoire dont on veut parler est une victoire spirituelle.
A l’autel de Jupiter, dit le pere de Montfaucon, (Ant. expl. tom. II. p. 129.) on mettoit des feuilles de hêtre : à celui d’Apollon, de laurier : à celui de Minerve, d’olivier : à l’autel de Vénus, de myrthe : à celui d’Hercule, de peuplier : à celui de Bacchus, de lierre : à celui de Pan, des feuilles de pin.
VI. Le nom abstrait pour le concret… Un nouvel esclavage se forme tous les jours pour vous, dit Horace, II. od. viij. 18, c’est-à-dire, vous avez tous les jours de nouveaux esclaves : tibi servitus crescit nova. Servitus est un abstrait, au lieu de servi ou novi amatores qui tibi serviant. Invidiâ major, (ib. xx.) au-dessus de l’envie, c’est-à-dire, triomphant de mes envieux.
Custodia, garde, conservation, se prend en latin pour ceux qui gardent :
noctem custodia ducit insomnem. Æn. IX. 266.
Spes, l’espérance, se dit souvent pour ce qu’on espere :
spes quœ differtur affligit animam. Prov. XI. I. 12.
Petitio, demande, se dit aussi pour la chose demandée :
dedit mih. Dominus petitionem meam. I. Reg. j. 27.
C’est ainsi que Phedre a dit, I. fab. 3. tua calamitas non sentiret, c’est-à-dire, tu calamitosus non sentires : tua calamitas est un terme abstrait, au lieu que tu calamitosus est le concret. Credens colli longitudinem, (ib. 8.) pour collum longum : & encore (ib. 13.) corvi stupor, qui est l’abstrait, pour corvus stupidus, qui est le concret. Virgile a dit de même, (Georg. I. 143.) ferri rigor, qui est l’abstrait, au lieu de ferrum rigidum, qui est le concret.
VII. Les parties du corps qui sont regardées comme le siege des passions & des sentimens intérieurs, se prennent pour les sentimens mânes. C’est ainsi qu’on dit il a du cœur, c’est-à-dire, du courage.
Observez que les anciens regardoient le cœur comme le siege de la sagesse, de l’esprit, de l’adresse : ainsi habet cor, dans Plaute, (Persa, act. IV. sc. iv. 71.) ne veut pas dire comme parmi nous, elle a du courage, mais elle a de l’esprit : si est mihi cor, id. Mostel. act. I. sc. ij. 3. si j’ai de l’esprit, de l’intelligence : vir cordatus, veut dire en latin un homme de sens, qui a un bon discernement. Cornutus, philosophe stoïcien, qui fut le maître de Perse, & qui a été ensuite le commentateur de ce poëte, fait cette remarque sur ces paroles, sum perulanti splene cachinno, de la premiere satyre :
Physici dicunt homines splene ridere, felle irasci, jecore amare, corde sapere, & pulmone jactari.
Aujourd’hui on a d’autres lumieres.
Perse dit (in prol.) que le ventre, c’est–à-dire, la faim, le besoin, a fait apprendre aux pies & aux corbeaux à parler.
La cervelle se prend aussi pour l’esprit, le jugement.
O la belle tête, s’ecrie le renard dans Phedre ; quel dommage, elle n’a point de cervelle !
ô quanta species, inquit, cerebrum non habet ! (I. 7.)
On dit d’un étourdi que c’est une tête sans cervelle. Ulysse dit à Euryale, selon la traduction de Mad. Dacier, (odyss. tom. II. pag. 13.) jeune homme, vous avez tout l’air d’un écervelé, c’est-à-dire, comme elle l’explique dans ses savantes remarques, vous avez tout l’air d’un homme peu sage. Au contraire quand on dit, c’est un homme de tête, c’est une bonne tête, on veut dire que celui dont on parle est un habile homme, un homme de jugement. La tête lui a tourné, c’est-à-dire, qu’il a perdu le bon sens, la présence d’esprit.
Avoir de la tête, se dit aussi figurément d’un opiniâtre. Tête de fer, se dit d’un homme appliqué sans relâche, & encore d’un entêté.
La langue, qui est le principal organe de la parole, se prend pour la parole : c’est une méchante langue, c’est-à-dire, c’est un médisant : avoir la langue bien pendue, c’est avoir le talent de la parole, c’est parler facilement.
VIII. Le nom du maître de la maison se prend aussi pour la maison qu’il occupe : Virgile a dit : (Æn. II. 312.) jam proximus ardet Ucalegon, c’est-à-dire, le feu a déja pris à la maison d’Ucalégon.
On donne aussi aux pieces de monnoie le nom du souverain dont elles portent l’empreinte.
Ducentos philippos reddat aureos, (Plaut. bacchid. IV. ij. 8.)
qu’elle rende deux cens philippes d’or : nous dirions deux cens louis d’or.
Voilà les principales especes de métonymie. Quelques-uns y ajoutent la métonymie, par laquelle on nomme ce qui précéde pour ce qui suit, ou ce qui suit pour ce qui précéde ; c’est ce qu’on appelle l’antécédent pour le conséquent, ou le conséquent pour l’antécédent : on en trouvera des exemples dans la métalepse, qui n’est qu’une espece de métonymie à laquelle on a donné un nom particulier (voyez Métalepse) ; au lieu qu’à l’égard des autres especes de métonymie, dont nous venons de parler, on se contente de dire, métonymie de la cause pour l’effet, métonymie du contenant pour le contenu, métonymie du signe, &c.
Littré
Terme de rhétorique. Figure par laquelle on met un mot à la place d’un autre dont il fait entendre la signification. En ce sens général la métonymie serait un nom commun à tous les tropes ; mais on la restreint aux usages suivants : 1° la cause pour l’effet ; 2° l’effet pour la cause ; 3° le contenant pour le contenu ; 4° le nom du lieu où une chose se fait pour la chose elle-même ; 5° le signe pour la chose signifiée ; 6° le nom abstrait pour le concret ; 7° les parties du corps regardées comme le siége des sentiments ou des passions, pour ces passions et ces sentiments ; 8° le nom du maître de la maison pour la maison même, 9° l’antécédent pour le conséquent.
Et bientôt vous verrez mille auteurs pointilleux…
Huer la métaphore et la métonymie. [Boileau, Epîtres]