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325 av. J.-C. : Aristote

De Arte Rhetorica (1550)

Aristote, De Arte Rhetorica libri tres, trad. lat. Marcantonio Majoragio (1514-1555? 1e éd. d'extraits : Paolo Beni 1524 ; 1e éd. intégrale 1550), Padoue, Presses du Séminaire, 1689, Liber I, Caput I, p. 8-10 et Caput II, p. 19-33.

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325 av. J.-C. : Aristote

Rhétorique (1654)

Aristote, Rhétorique, trad. François Cassandre, 1e éd. 1654, La Haye, Isaac Vaillant, 1718, Livre I, Chapitre I, p. 6-8 et Chapitre II, p. 15-28.

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94 : Quintilien

De l'Institution de l'orateur

Quintilien, De l’Institution de l’orateur, trad. Nicolas Gédoyn, Paris, Grégoire Dupuis, 1718, livre cinquième, chapitre XIV, « Ce que c'est que l'Enthimeme & combien de sortes il y en a. De combien de parties l'Epichéreme est composé, & de la maniere de le réfuter », p. 351.

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1660 : Bary

La rhetorique françoise

 René Bary, La Rhetorique Francoise Ou L'On Trouve de nouveaux Exemples sur les Passions & sur les Figures. Ou l'On Traite à Fonds de la Matière des Genres Oratoires, Paris, Pierre le Petit, 1660,  première partie, « Du Syllogisme », p. 17-18

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1662 : Jacques du Roure

La Rhétorique française

Jacques Du Roure, La Rhétorique française nécessaire à tous ceux qui veulent parler, ou écrire comme il faut et faire ou juger : des discours familiers, des lettres, des harangues, des plaidoyers, et des prédications, Paris, chez l’Auteur, 1662, Troisième partie, p. 47, 54-55.

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1671 : Le Gras

La Rhétorique française

Le Gras, La Rhétorique française ou les préceptes de l’ancienne et vraie éloquence accommodés à l’usage des conversations et de la Société civile, du Barreau et de la Chaire, Paris, 1671, première partie « De l’Invention », chap XV, "Du Syllogisme et de la Ratiocination", p. 47-48

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1671 : Le Gras

La Rhetorique Françoise

 

Le Gras, La Rhetorique Françoise ou les preceptes de l'ancienne et vraye eloquence accomodez à l'usage des conversations & de la Societé civile : Du Barreau : Et de la Chaire, Paris, A. de Rafflé, 1671, Seconde partie de la Rethorique, « De la Disposition », chap. V, « Comment il faut construire les Argumens, & leur donner de la grace & de la beauté », p. 143.

 

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1689 : Étienne Dubois de Bretteville

L’Éloquence de la chaire et du barreau

Étienne Dubois de Bretteville, L’Éloquence de la chaire et du barreau selon les principes les plus solides de la rhétorique sacrée et profane, Paris, Denys Thierry, 1689, p. 91-92

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1710 : Joseph de Jouvancy

Candidatus rhetoricae

Joseph de Jouvancy, L’Élève de rhétorique (Candidatus rhetoricae, 1e éd. 1710, 1e trad. 1892), édité par les équipes RARE et STIH sous la direction de D. Denis et Fr. Goyet, Paris, Classiques Garnier, 2019, deuxième partie, "< De la deuxième partie de l'éloquence ou > de la disposition du discours", chap. III, "Des différentes espèces d'argumentation", "Le syllogisme", p. 124-127. 

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1782 : Pierre Thomas Nicolas Hurtaut

Manuale rhetorices

P. T. N. Hurtaut, Manuale rhetorices ad usum studiosae juventutis academicae, Exemplis tum Oratoriis, tu Poeticis, editio tertia, Paris, chez l'auteur, 1782, première section "De inventione", deuxième partie  (argumentatio, lectio, imitatio),  chapitre I "De Argumentatione", p. 6-77.

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1816 : Gaspard Gilbert Delamalle

Essai d'Institutions oratoires
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1872 : Colonia

De arte rhetorica, libri quinque

Dominique De Colonia, De Arte rhetorica libri quinque, Lyon, apud Briday Bibliopolam, 1872, Liber Tertius, chap. II, art. I, "De Syllogismo", p 187-190

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Dictionnaires et encyclopédies

CN. voir [pour Hurtaut et Du Cygne  : synonyme de Ratiocinatio]

Furetière

Terme de Logique. Argument composé de trois propositions, lequel a cette proprieté, que quand il est en forme, la conclusion s’ensuit necessairement des deux premisses, ensorte que si elles sont veritables et necessaires, la conclusion est convaincante, et fait une demonstration, et on l’appelle apodictique. Quand les propositions sont seulement vraisemblables ou contingentes, on l’appelle dialectique ; et quand elles n’ont qu’une fausse apparence de verité, on l’appelle sophistique. On fait en Logique trois figures de syllogismes, qui viennent de la combinaison des propositions universelles ou particulieres, affirmatives ou negatives. Il y a une quatriéme figure de Galien. Tous syllogismes ont une majeure, une mineure, qu’on appelle aussi assomption, et une conclusion. Il y a des syllogismes sophistiques qui pechent en la forme.

 

Encyclopédie

Le syllogisme est un raisonnement énoncé suivant les regles de la logique. Pour le construire, on compare deux idées dont on veut connoitre le rapport ou la différence à une troisieme idée qui se nomme moyenne. Quand deux idées peuvent être comparées ensemble pour en former immédiatement un jugement affirmatif ou négatif, il n’est pas besoin de recourir au raisonnement ; mais comme cela ne se peut pas toujours, c’est alors qu’on recourt à l’idée moyenne, qui sert de principe de comparaison. Si j’entreprends, par exemple, de prouver que la terre est sphérique, il m’est impossible de comparer immédiatement l’idée de la figure sphérique & celle de la terre ; mais avec le secours d’une idée moyenne, savoir celle de l’ombre de la terre, qui se trouve être l’ombre d’un corps sphérique, je ferai la comparaison dont il s’agit ; & voici comment j’exprimerai mon argument : tout corps est sphérique, si son ombre tombant directement sur un plan est circulaire, quelle que soit la situation de ce corps ; or nous voyons dans les éclipses de la lune que l’ombre de la terre a cette propriété : donc la terre est un corps sphérique.

 

Pour que la conclusion soit juste, il faut 1°. que les prémisses qui constituent la matiere de l’argument, soient vraies : ensuite que la conclusion en soit bien déduite, c’est-à-dire, que la comparaison de l’idée moyenne avec les termes de la conclusion démontre leur relation : ce qui fait la forme de l’argument.

 

Quand une seule idée moyenne suffit pour conduire à la conclusion cherchée, ce raisonnement est simple ; quand il faut plusieurs idées moyennes pour démontrer la relation qu’ont entr’elles deux idées qu’on veut comparer, le raisonnement devient composé, & se forme de l’assemblage de plusieurs raisonnemens simples. Pour avoir une idée distincte des syllogismes, il faut connoître les parties qui les composent.

 

Dans chaque syllogisme régulier il y a trois termes & trois propositions : trois termes, le grand ou l’attribut, le petit ou le sujet, & le terme moyen : trois propositions, la majeure & la mineure, qui forment les deux prémisses, & la conclusion. L’attribut de la conclusion s’appelle le grand terme ; & la proposition dans laquelle ce terme est comparé avec l’idée moyenne, forme la majeure de l’argument. Le sujet de la conclusion se nomme le petit terme ; & on donne le nom de mineure de l’argument à la proposition dans laquelle ce terme est joint avec l’idée moyenne.

 

Les regles qui servent à construire un syllogisme, sont de deux sortes : les unes générales qui concernent tous les syllogismes, & les autres particulieres, qui déterminent les figures & les modes. Voyez les figures & les modes où ces regles sont expliquées. Nous nous bornerons à parler ici des regles générales : ces regles sont fondées sur les axiomes qui ont été établis touchant les propositions affirmatives & négatives.

 

Les propositions considérées par rapport à leur quantité & à leur qualité, se partagent en quatre classes, qu’on désigne par les lettres A, E, I, O.

 

A, marque une proposition universelle affirmative.

 

E, une universelle négative.

 

I, une particuliere affirmative.

 

O, une particuliere négative.

 

Voici donc les axiomes qu’on peut regarder comme la base sur laquelle sont appuyées toutes les regles générales des syllogismes.

 

1°. Les propositions particulieres sont enfermées dans les générales de même nature, I dans A, & O dans E. On pourroit dans la rigueur des termes, contester la vérité de cet axiome. On ne peut pas dire, par exemple, dans toute la précision philosophique, que quelque homme est raisonnable, que quelque cercle est rond, parce qu’en le disant, on semble restraindre la rationalité à certains hommes, & l’exclure des autres, de même qu’on paroit restraindre la rondeur à quelques cercles seulement, avec l’exclusion des autres. Quoi qu’il en soit, il est certain que ce qui convient aux sujets pris dans toute leur universalité, convient aussi à tous les individus ou inférieurs de ces sujets : ce qui suffit par rapport aux regles des syllogismes.

 

2°. L’universalité ou la particularité d’une proposition dépend de l’universalité ou de la particularite du sujet : donc le sujet d’une proposition universelle est universel, & le sujet d’une proposition particuliere est particulier.

 

3°. L’attribut est toujours particulier quand la proposition est affirmative, parce que l’affirmation ne regarde jamais qu’une partie de l’attribut. En disant, tout homme vit, je ne parle point de toute sorte de vie.

 

4°. L’attribut d’une proposition négative est toujours universel, à cause que ce sujet est séparé de l’attribut pris dans toute l’étendue dont il est capable. Un certain homme n’est point blanc ; il s’agit ici de toute sorte de blancheur.

 

De-là on déduit les conséquences suivantes : toute proposition universelle négative a ses deux termes pris universellement, & cette propriété ne convient qu’à ces sortes de propositions seules.

 

Toute proposition particuliere affirmative a ses deux termes pris particulierement, & il n’y a que ces sortes de propositions qui aient cette propriété.

 

Toute proposition universelle affirmative ou particuliere négative n’a qu’un terme universel.

 

Une proposition affirmative qui a un terme universel, est universelle.

 

Une proposition négative qui n’a qu’un terme universel, est particuliere.

 

De ces axiomes nous déduisons des regles, par le secours desquelles nous déterminons si la conclusion du syllogisme est légitimement tirée des prémisses ; & ces mêmes regles nous enseignent ce qu’il faut observer dans la construction du syllogisme ; les voici :

 

1°. Dans tout syllogisme il y a trois termes, & il n’y en peut avoir que trois, chacun desquels est employé deux fois, & pas davantage, de maniere que nous ayons pourtant six termes en trois propositions.

 

2°. Le moyen terme doit être pris, au moins une fois, universellement ; car s’il se prend particulierement dans la majeure & dans la mineure, il pourra arriver que dans ces deux propositions, ce qu’on prend pour le terme moyen, exprimera des idées différentes, & alors il n’y aura point d’idée moyenne. Ainsi dans cet argument, quelque homme est saint : quelque homme est voleur : donc quelque voleur est saint, le mot d’homme étant pris pour diverses parties des hommes, ne peut unir voleur avec saint, parce que ce n’est pas le même homme qui est saint & qui est voleur. Pour déterminer donc si un argument est en forme, il faut examiner d’abord s’il n’a pas quatre termes, c’est-à-dire, si les termes majeur & mineur ont le même sens dans les prémisses que dans la conclusion, & si c’est la même idée qu’on emploie dans chaque prémisse, comme idée moyenne.

 

3°. Les termes de la conclusion ne doivent pas y avoir plus d’étendue que dans les prémisses. La raison est qu’on ne peut rien conclure du particulier au général ; car de ce que quelque homme est estimable, on n’en doit pas conclure que tous les hommes le soient.

 

De-là on déduit les consequences suivantes : 1°. il doit toujours y avoir dans les prémisses un terme universel de plus que dans la conclusion ; car tout terme qui est général dans la conclusion, le doit être aussi dans les prémisses ; d’ailleurs le moyen terme doit être pris du moins une fois universellement ;

 

2°. Lorsque la conclusion est négative, il faut nécessairement que le grand terme soit pris généralement dans la majeure ; car comme il est l’attribut de la conclusion, & que tout attribut de conclusion négative est toujours universel, s’il n’avoit pas la même étendue dans la majeure, il s’ensuivroit qu’il seroit pris plus universellement dans la conclusion que dans les prémisses : ce qui est contraire à la troisieme regle ; 3°. la majeure d’un argument dont la conclusion est négative, ne peut jamais être une particuliere affirmative ; car le sujet & l’attribut d’une proposition affirmative sont tous deux pris particulierement, comme nous l’avons vu, & ainsi le grand terme n’y seroit pris que particulierement ; 4°. le petit terme est toujours dans la conclusion, comme dans les prémisses ; la raison en est bien claire ; car quand le petit terme de la conclusion est universel dans la mineure, tout ce qui en est prouvé, ne doit pas plutôt être rapporté à une de ses parties qu’à l’autre ; d’où il s’ensuit qu’étant le sujet de la conclusion auquel se rapporte l’affirmation ou la négation, il sera aussi universel dans la conclusion, & communiquera à celle-ci son universalité.

 

4°. On ne peut rien conclure de deux propositions négatives. Le moyen est séparé dans les prémisses, du grand & du petit terme ; or de ce que deux choses sont séparées de la même chose, il ne s’ensuit ni qu’elles soient, ni qu’elles ne soient pas la même chose. De ce que les Espagnols ne sont pas turcs, & de ce que les Turcs ne sont pas chrétiens, il ne s’ensuit pas que les Espagnols ne soient pas chrétiens, non plus que les Chinois le soient, quoiqu’ils ne soient pas plus turcs que les Espagnols.

 

5°. On ne sauroit déduire une conclusion négative de deux propositions affirmatives. Comment deux termes pourroient-ils être séparés, parce qu’ils sont unis l’un & l’autre avec un même moyen ?

 

6°. La conclusion suit toujours la plus foible partie. La partie la plus foible, dans la qualité est la négation, & dans la quantité, c’est la particularité ; de sorte que le sens de cette regle est, que s’il y a une des deux propositions qui soit négative, la conclusion doit l’être aussi, comme elle doit être particuliere, si une des deux prémisses l’est. Le moyen, s’il est séparé d’un des deux termes, ne sauroit jamais démontrer que la conclusion est affirmative, c’est-à-dire, que les termes de cette conclusion sont joints ensemble ; c’est pourquoi une pareille conclusion ne sauroit subsister avec une des prémisses qui seroit négative.

 

Nous prouvons aussi que la conclusion est particuliere, si l’une des prémisses est telle. Les prémisses sont toutes deux affirmatives, ou l’une d’elles est négative ; dans le premier cas, comme une des prémisses est particuliere, nous aurons au-moins trois termes particuliers parmi les quatre termes des prémisses, savoir le sujet & l’attribut de la proposition particuliere, & le prédicat de l’universelle, & il n’y aura au plus qu’un de ces termes, savoir le sujet de l’universelle, qui sera universel ; mais le moyen est pris au-moins une fois universellement : donc les deux termes de la conclusion seront pris particulierement ; ce qui la rend elle-même particuliere.

 

Dans le second cas, à cause d’une proposition particuliere, il n’y a dans les prémisses que deux termes pris universellement, savoir le sujet de la proposition universelle & l’attribut de la négative ; mais le moyen est pris une fois universellement : donc il n’y a qu’un seul terme universel dans la conclusion, laquelle est négative, & par cela même particuliere, comme nous l’avons démontré ci dessus.

 

7°. De deux propositions particulieres il ne s’ensuit rien ; si elles sont l’une & l’autre affirmatives, tous les termes seront particuliers, & le moyen ne sera pas pris universellement une seule fois : donc la conclusion ne sauroit être juste. Si les deux prémisses sont négatives, on n’en peut aussi rien conclure ; mais si l’une est négative & l’autre affirmative, elles n’ont qu’un seul terme universel ; mais ce terme est le terme moyen, & les deux termes de la conclusion sont particuliers : ce qui ne sauroit être, à cause que la conclusion est négative.

 

Les syllogismes sont ou simples ou conjonctifs.

 

Les simples sont ceux où le moyen n’est joint à la fois qu’à un des termes de la conclusion ; les conjonctifs sont ceux où il est joint à tous les deux.

 

Les syllogismes simples sont encore de deux sortes : les uns, où chaque terme est joint tout entier avec le moyen, savoir avec l’attribut tout entier dans la majeure, & avec le sujet tout entier dans la mineure : les autres où la conclusion étant complexe, c’est-à-dire composée de termes complexes, on ne prend qu’une partie du sujet ou une partie de l’attribut pour joindre avec le moyen dans l’une des propositions, & on prend tout le reste qui n’est plus qu’un seul terme, pour joindre avec le moyen dans l’autre proposition, comme dans cet argument :

La loi divine oblige d’honorer les rois :

Louis XV est roi :

Donc la loi divine oblige d’honorer Louis XV.

 

Nous appellerons les premiers des syllogismes incomplexes, & les autres des syllogismes complexes, non que tous ceux où il y a des propositions complexes, soient de ce dernier genre, mais parce qu’il n’y en a point de ce dernier genre, où il n’y ait des propositions complexes.

 

Il n’y a point de difficulté sur les syllogismes incomplexes ; pour en connoitre la bonté ou le défaut, il n’est question que de les plier aux regles générales que nous venons de rapporter. Mais il n’en est pas tout-à-fait de même des syllogismes complexes ; ce qui les rend obscurs & embarrassans, c’est que les termes de la conclusion qui sont complexes, ne sont pas pris tout entiers dans chacune des prémisses, pour être joints avec le moyen, mais seulement une partie de l’un des termes, comme en cet exemple :

Le soleil est une chose insensible :

Les Perses adoroient le soleil :

Donc les Perses adoroient une chose insensible.

où l’on voit que la conclusion ayant pour attribut, adoroient une chose insensible, on n’en met qu’une partie dans la majeure, savoir une chose insensible, & adoroient dans la mineure.

 

On peut réduire ces sortes de syllogismes aux syllogismes incomplexes, pour en juger par les mêmes regles. Prenons pour exemple ce syllogisme que nous avons déja cité.

La loi divine commande d’honorer les rois :

Louis XV est roi :

Donc la loi divine commande d’honorer Louis XV.

 

Le terme de roi, qui est le moyen dans ce syllogisme, n’est point attribut dans cette proposition : la loi divine commande d’honorer les rois, quoiqu’il soit joint à l’attribut commande, ce qui est bien différent ; car ce qui est véritablement attribut, est affirmé & convient : or roi n’est point affirmé, & ne convient point à la loi de Dieu. Si l’on demande ce qu’il est donc, il est facile de répondre, qu’il est sujet d’une autre proposition envelopée dans celle-là. Car quand je dis que la loi divine commande d’honorer les rois, comme j’attribue à la loi de commander, j’attribue aussi l’honneur aux rois. Car c’est comme si je disois, la loi divine commande que les rois soient honorés. Ainsi ces propositions étant ainsi dévelopées, il est clair que tout l’argument consiste dans ces propositions.

Les rois doivent être honorés.

Louis XV est roi.

Donc Louis XV doit être honoré.

Et que cette proposition, la loi divine commande, qui paroissoit la principale, n’est qu’une proposition incidente à cet argument, à laquelle elle sert de preuve.

 

Il faut observer qu’il y a beaucoup de syllogismes complexes, dont toutes les propositions paroissent négatives, & qui néanmoins sont très-bons ; parce qu’il y en a une qui n’est négative qu’en apparence, comme on le peut voir par cet exemple.

Ce qui n’a point de parties ne peut périr par la dissolution de ses parties :

Notre ame n’a point de parties :

Donc notre ame ne peut périr par la dissolution de ses parties.

 

Il y a des personnes qui apportent ces sortes de syllogismes pour montrer que l’on ne doit pas prétendre que cet axiome de logique, on ne conclut rien de pures négatives, soit vrai généralement & sans distinction. Mais ils n’ont pas pris garde que dans le sens, la mineure de ce syllogisme & autres semblables, est affirmative, parce que le moyen, qui est le sujet de la majeure, en est l’attribut. Or le sujet de la majeure comprend tous ces mots, ce qui n’a point de parties. Donc, pour que le moyen terme, qui est le prédicat dans la mineure, soit le même que dans la majeure ; il doit être composé des mêmes mots, ce qui n’a point de parties. Ce qui étant, il est manifeste que pour faire de la mineure une proposition, il faut y sous-entendre le verbe est, qui servira à unir le sujet & l’attribut, & qui rendra par conséquent cette proposition affirmative. Il importe peu qu’il y ait une négation dans une proposition complexe. Elle conservera toujours sa qualité d’affirmative, pourvu que la négation ne tombe pas sur le verbe de la proposition principale, mais sur la complexion, soit du sujet, soit du prédicat. Ainsi, le sens de la mineure en question est : notre ame est une chose qui n’a point de parties.

 

L’auteur de l’art de penser donne une regle plus générale, & par-là plus simple, pour juger tout-d’un-coup de la bonté ou du vice des syllogismes complexes, sans avoir besoin d’aucune réduction. Cette regle est qu’une des deux prémisses contienne la conclusion, & que l’autre prouve qu’elle y est contenue.

 

Comme la majeure est presque toujours plus générale, on la regarde d’ordinaire comme la proposition contenante, & la mineure comme applicative. Pour les syllogismes négatifs, comme il n’y a qu’une proposition négative, & que la negation n’est proprement enfermée que dans la négative, il semble qu’on doive toujours prendre la proposition négative pour la contenante, & l’affirmative seulement pour l’applicative.

 

Il n’est pas difficile de montrer que toutes les regles tendent à faire voir que la conclusion est contenue dans l’une des premieres propositions, & que l’autre le fait voir. Car toutes ces regles se réduisent à deux principales, qui sont le fondement des autres. L’une, que nul terme ne peut être plus général dans la conclusion que dans les prémisses. Or cela dépend visiblement de ce principe général, que les prémisses doivent contenir la conclusion. Ce qui ne pourroit pas être, si le même terme étant dans les prémisses & dans la conclusion, avoit moins d’étendue dans les prémisses que dans la conclusion. Car le moins général ne contient pas le plus général. L’autre regle générale est, que le moyen doit être pris au-moins une fois universellement. Ce qui dépend encore de ce principe, que la conclusion doit être contenue dans les prémisses. Car, supposons que nous ayons à prouver que quelqu’ami de Dieu est pauvre, & que nous nous servions pour cela de cette proposition, quelque saint est pauvre ; je dis qu’on ne verra jamais évidemment que cette proposition contient la conclusion, que par une autre proposition, où le moyen qui est saint soit pris universellement. Car il est visible, qu’afin que cette proposition, quelque saint est pauvre, contienne la conclusion, quelque ami de Dieu est pauvre, il faut que tout saint soit ami de Dieu. Nulle des prémisses ne contiendroit la conclusion, si le moyen étant pris particulierement dans l’une des propositions, il n’étoit pris universellement dans l’autre. Lisez le onzieme chapitre de la troisieme partie de l’art de penser ; & vous y verrez cette regle appliquée à plusieurs syllogismes complexes.

 

Les syllogismes conjonctifs ne sont pas tous ceux dont les propositions sont conjonctives ou composées ; mais ceux dont la majeure est tellement composée qu’elle enferme toute la conclusion. On peut les réduire à trois genres, les conditionnels, les disjonctifs & les copulatifs.

 

Les syllogismes conditionnels sont ceux où la majeure est une proposition conditionnelle, qui contient toutes les conclusions, comme

S’il y a un Dieu, il le faut aimer :

Or il y a un Dieu :

Donc il le faut aimer.

 

La majeure a deux parties ; la premiere s’appelle l’antécédent ; la seconde le conséquent. Ce syllogisme peut être de deux sortes ; parce que de la même majeure on peut former deux conclusions.

 

La premiere est, quand ayant affirmé le conséquent dans la majeure, on affirme l’antécédent dans la mineure selon cette regle, en posant l’antécédent, on pose le conséquent.

Si la matiere ne peut se mouvoir d’elle-même, il faut que le premier mouvement lui ait été imprimé par Dieu.

Or la matiere ne peut se mouvoir d’elle-même :

Il faut donc que le premier mouvement lui ait été imprimé par Dieu.

 

La seconde sorte est, quand on ôte le conséquent pour ôter l’antécédent, selon cette regle, ôtant le conséquent, on ôte l’antécédent.

Si quelqu’un des élus périt, Dieu se trompe :

Mais Dieu ne se trompe point :

Donc aucun des élus ne périt.

 

Les syllogismes disjonctifs sont ceux où la majeure est disjonctive, c’est-à-dire, partagée en deux membres ou plus.

 

La conclusion est juste quand on observe cette regle ; en niant tous les membres, excepté un seul, ce dernier est affirmé ; ou en affirmant un seul, tous les autres sont niés. Exemple.

Nous sommes au printems, ou en été, ou en automne, ou en hiver :

Mais nous ne sommes ni au printems, ni en automne, ni en été.

Donc nous sommes en hiver.

 

Cet argument est fautif, quand la division dans la majeure n’est pas complette : car s’il y manquoit une seule partie, la conclusion ne seroit pas juste, comme on le peut voir dans ce syllogisme.

Il faut obéir aux princes en ce qu’ils commandent contre la loi de Dieu, ou se révolter contre eux :

Or il ne faut pas leur obéir en ce qui est contre la loi de Dieu :

Donc il faut se révolter contre eux.

ou

Or il ne faut pas se révolter contre eux :

Donc il faut leur obéir en ce qui est contre la loi de Dieu.

 

Les syllogismes copulatifs ne sont que d’une sorte, qui est quand on prend une proposition copulative niante, dont ensuite on établit une partie pour ôter l’autre.

Un homme n’est pas tout ensemble serviteur de Dieu, & idolâtre de son argent :

Or l’avare est idolâtre de son argent :

Donc il n’est pas serviteur de Dieu.

 

Car cette sorte de syllogisme ne conclut point nécessairement, quand on ôte une partie pour mettre l’autre ; comme on peut voir par ce raisonnement tiré de la même proposition.

Un homme n’est pas tout ensemble serviteur de Dieu & idolâtre de l’argent :

Or les prodigues ne sont point idolâtres de l’argent ;

Donc ils sont serviteurs de Dieu.

 

Un syllogisme parfait ne peut avoir moins de trois propositions : mais cela n’est vrai que quand on conclut absolument, & non quand on ne le fait que conditionnellement ; parce qu’alors la seule proposition conditionnelle peut enfermer une des prémisses outre la conclusion, & même toutes les deux : prenons pour exemple ce syllogisme.

Tout corps qui réfléchit la lumiere de toutes parts est raboteux :

Or la lune réfléchit la lumiere de toutes parts,

Donc la lune est un corps raboteux.

 

Pour conclure conditionnellement, je n’ai besoin que de deux propositions.

Tout corps qui réfléchit la lumiere de toutes parts est raboteux :

Donc si la lune réfléchit la lumiere de toutes parts, c’est un corps raboteux.

 

Je puis même renfermer ce raisonnement en une seule proposition ; ainsi,

Si tout corps qui réfléchit la lumiere ce toutes parts est raboteux, & que la lune la réflechisse ainsi ; il faut avouer que ce n’est point un corps poli, mais raboteux.

 

Toute la différence qu’il y a entre les syllogismes absolus, & ceux dont la condition est enfermée avec l’une des prémisses dans une proposition conditionnelle, est que les premiers ne peuvent être accordés tout entiers, que nous ne demeurions d’accord de ce qu’on nous vouloit persuader : au lieu que dans les derniers, on peut accorder tout, sans que celui qui les fait ait encore rien gagné ; parce qu’il lui reste à prouver, que la condition d’où dépend la conséquence qu’on lui accorde est véritable.

 

Et ainsi ces argumens ne sont proprement que des préparations à une conclusion absolue : mais ils sont aussi très-propres à cela ; & il faut avouer que ces manieres de raisonner sont très-ordinaires & très-naturelles ; & qu’elles ont cet avantage, qu’étant plus éloignées de l’air de l’école, elles en sont mieux reçues dans le monde.

 

Le plus grand usage de ces raisonnemens. est d’obliger celui à qui on veut persuader une chose, de reconnoître, 1°. la bonté d’une conséquence qu’il peut accorder, sans s’engager encore à rien, parce qu’on ne lui propose que continuellement, & séparée de la vérité matérielle, pour parler ainsi de ce qu’elle contient ; & par-là on le dispose à recevoir plus facilement la conclusion absolue qu’on en tire. Ainsi, une personne m’ayant avoué que nulle matiere ne pense, j’en conclurai, donc si l’ame des bêtes pense, il faut qu’elle soit distincte de la matiere ; & comme il ne pourra pas me nier cette conclusion conditionnelle, j’en pourrai tirer l’une ou l’autre de ces deux conséquences absolues : or l’ame des bêtes pense : donc elle est distincte de la matiere. Ou bien au-contraire : or l’ame des bêtes n’est pas distincte de la matiere ; donc elle ne pense pas.

 

On voit par-là, qu’il faut quatre propositions, afin que ces sortes de raisonnemens soient achevés, & qu’ils établissent quelque chose absolument. Voyez la logique de Port-Royal.

 

Il se présente ici naturellement une question, savoir, si les regles des syllogismes, qu’on explique avec tant d’appareil dans les écoles, sont aussi nécessaires qu’on le dit ordinairement pour découvrir la vérité. L’opinion de leur inutilité est la plus grande de toutes les hérésies dans l’école ; hors d’elles point de salut. Quiconque erre dans les regles, est un grand homme ; mais quiconque découvre la vérité d’une maniere simple par la connexion des idées claires & distinctes que nous fournit l’entendement, n’est qu’un ignorant. Cependant, si nous examinons avec un peu d’attention les actions de notre esprit, nous découvrirons que nous raisonnons mieux & plus clairement, lorsque nous observons seulement la connexion des preuves, sans réduire nos pensées à une regle ou forme de syllogisme. Nous serions bien malheureux, si cela étoit autrement ; la raison seroit alors le partage de cinq ou six pédans, de qui elle ne fut jamais connue. Je ne crois pas qu’on s’amuse à chercher la vérité par le syllogisme dans le cabinet des princes, où les affaires qu’on y décide, sont d’assez grande conséquence pour qu’on doive y employer tous les moyens nécessaires pour raisonner & conclure le plus justement qu’il est possible : & si le syllogisme étoit le grand instrument de la raison, & le meilleur moyen pour mettre cette faculté en exercice, je ne doute pas que les princes n’eussent exigé que leurs conseillers d’état apprissent à former des syllogismes dans toutes les especes, leur royaume & leur personne même, dépendant des affaires dont on délibere dans leurs conseils. Je serois fort étonné qu’on voulût me prouver que le reverend pere professeur de philosophie du couvent des cordeliers, grand & subtil scotiste, fût aussi excellent ministre que le cardinal de Richelieu, ou Mazarin, qui, à coup sûr, ne formoient pas un syllogisme dans les regles aussi-bien que lui. Henri IV a été un des plus grands princes qu’il y ait eu. Il avoit autant de prudence de bon sens & de justesse d’esprit, qu’il avoit de valeur. Je ne pense pourtant pas qu’on le soupçonne jamais d’avoir su de sa vie ce que c’étoit qu’un syllogisme. Nous voyons tous les jours une quantité de gens, dont les raisonnemens sont nets, justes & précis, & qui n’ont pas la moindre connoissance des regles de la logique.

 

M. Loke dit avoir connu un homme, qui, malgré l’ignorance profonde où il étoit de toutes les regles de syllogisme, appercevoit d’abord la foiblesse & les faux raisonnemens d’un long discours artificieux & plausible, auquel d’autres gens exercés à toutes les finesses de la logique se sont laissés attraper.

 

Ces subtilités, dit Seneque en parlant des argumens, ne servent point à éclaircir les difficultés, & ne peuvent fournir aucune véritable décision ; l’esprit s’en sert comme d’un jouet qui l’amuse, mais qui ne lui est d’aucune utilité ; & la bonne & véritable philosophie en reçoit un très-grand dommage. S’il est pardonnable de s’amuser quelquefois à de pareilles fadaises, c’est lorsqu’on a du tems à perdre ; cependant elles sont toujours pernicieuses, car on se laisse aisément séduire à leur clinquant & à leurs fausses & ridicules subtilités.

 

Si le syllogisme est nécessaire pour découvrir la vérité, la plus grande partie du monde en est privée. Pour une personne qui a quelque notion des formes syllogistiques, il y en a dix mille qui n’en ont aucune idée. La moitié des peuples de l’Asie & de l’Afrique n’ont jamais oui parler de logique. Il n’y avoit pas un seul homme dans l’Amérique, avant que nous l’eussions découverte, qui sût ce que c’étoit qu’un syllogisme ; il se trouvoit pourtant dans ce continent des gens qui raisonnoient peut-être aussi subtilement que des Logiciens. Nous voyons tous les jours des paysans avoir dans les choses essentielles de la vie, sur lesquelles ils ont réfléchi, plus de bon sens & de justesse que des docteurs de Sorbonne. L’homme seroit bien malheureux, si sans le secours des regles d’Aristote, il ne pouvoit faire usage de sa raison, & que ce présent du ciel lui devînt un don inutile.

 

Dieu n’a pas été si peu libéral de ses faveurs envers les hommes, que se contentant d’en faire des créatures à deux jambes, il ait laissé à Aristote le soin de les rendre créatures raisonnables ; je veux dire ce petit nombre, qu’il pourroit engager à examiner de telle maniere les fondemens du syllogisme, qu’ils vissent qu’entre plus de 60 manieres dont trois propositions peuvent être rangées, il n’y en a qu’environ quatorze où l’on puisse être assuré que la conclusion est juste, & sur quel fondement la conclusion est certaine dans ce petit nombre de syllogismes & non dans d’autres. Dieu a eu beaucoup plus de bonté pour les hommes. Il leur a donné un esprit capable de raisonner, sans qu’ils aient besoin d’apprendre les formes des syllogismes. Ce n’est point, dis-je, par les regles du syllogisme que l’esprit humain apprend à raisonner. Il a une faculté naturelle d’appercevoir la convenance ou la disconvenance de ses idées ; il peut les mettre en ordre sans toutes ces répétitions embarrassantes. Je ne dis point ceci pour rabaisser en aucune maniere Aristote, qu’on peut regarder comme un des plus grands hommes de l’antiquité, que peu ont égalé en étendue, en subtilité, en pénétration d’esprit, & qui, en cela même qu’il a inventé ce petit systeme des formes de l’argumentation, par où l’on peut faire voir que la conclusion d’un syllogisme est juste & bien fondée, a rendu un grand service aux savans contre ceux qui n’avoient pas honte de nier tout. Il faut convenir que tous les bons raisonnemens peuvent être réduits à ces formes syllogistiques. Mais cependant je crois pouvoir dire que ces formes d’argumentation, ne sont ni le seul ni le meilleur moyen de raisonner ; & il est visible qu’Aristote trouva lui-même que certaines formes étoient concluantes, & que d’autres ne l’étoient pas, non par le moyen des formes mêmes, mais par la voie originale de la connoissance, c’est-à-dire, par la convenance manifeste des idées. Dites à une dame que le vent est sud-ouest, & le tems couvert & tourné à la pluie ; elle comprendra sans peine qu’il n’est pas sûr pour elle de sortir, par un tel jour, légerement vêtue après avoir eu la fievre ; elle voit fort nettement la liaison de toutes ces choses, vent sud-ouest, nuages, pluie, humidité, prendre du froid, rechute, danger de mort, sans les lier ensemble par une chaîne artificielle & embarrassante de divers syllogismes, qui ne servent qu’à retarder l’esprit, qui sans leur secours va plus vîte d’une partie à l’autre.

 

Au reste, ce n’est pas seulement dans l’usage ordinaire de la société civile, que l’on se passe très-bien du burlesque étalage des syllogismes : c’est encore dans les écrits des savans & dans les matieres les plus dogmatiques. Les mathématiques mêmes & la géométrie en particulier, qui portent avec elles l’évidence de la démonstration, ne s’avisent point de rechercher le secours du syllogisme ; leurs traités n’en sont ni moins solides, ni moins conformes aux regles de la plus exacte logique.

 

Ainsi à l’égard de la plus essentielle des vérités, je veux dire, l’existence de Dieu, tous les syllogismes du monde ne convaincront pas l’esprit plus efficacement, que cette suite uniforme & simple de propositions.

 

1°. L’univers a des parties ; 2°. ces parties ont de la subordination ; 3°. cette subordination est établie & conservée par quelque principe d’ordre ; 4°. le principe qui établit & qui conserve l’ordre dans toutes les parties de l’univers, est une intelligence supérieure à tout ; 5°. cette intelligence supérieure est appellée Dieu.

 

Par cette simple suite ou liaison d’idées, l’esprit apperçoit toute la vérité qu’on pourroit découvrir, par le plus exact tissu de syllogismes ; & même on ne pourra former de syllogismes sur ses articles, qu’en supposant cette suite d’idées que l’esprit aura déja apperçues. Car un syllogisme ne contribue en rien à montrer ou à fortifier la connexion de deux idées jointes immédiatement ensemble ; il montre seulement par la connexion, qui a été déja découverte entr’elles, comment les extrèmes sont liés l’un à l’autre. Cette connexion d’idées ne se voit que par la faculté perceptive de l’esprit qui les découvre jointes ensemble dans une espece de juxtaposition ; & cela, lorsque les deux idées sont jointes ensemble dans une proposition, soit que cette proposition constitue ou non la majeure ou la mineure d’un syllogisme.

 

C’est dans cette vue que quelques-uns ont ingénieusement défini le syllogisme ; le secret de faire avouer dans la conclusion ce qu’on a déja avoué dans les prémisses.

 

On voit plus aisément la connexion de ses idées lorsqu’on n’use point du syllogisme, qui ne sert qu’à ralentir la pénétration & la décision de l’entendement. Supposons que le mot animal, soit une idée moyenne, & qu’on l’emploie pour montrer la connexion qui se trouve entre homme & vivant, je demande si l’esprit ne voit pas cette liaison aussi promptement & aussi nettement, lorsque l’idée qui lie ces deux termes, est au milieu dans cet argument naturel,

Homme… animal… vivant…

que dans cet autre plus embarrassé,

Animal… vivant… homme… animal ?

Ce qui est la position qu’on donne à ces idées dans un syllogisme, pour faire voir la connexion qui est entre homme & vivant, par l’intervention du mot Animal.

 

De tout ce que nous avons dit jusqu’ici, il en résulte que les regles des syllogismes ne sont pas, à beaucoup près, si nécessaires que se l’imagine le vulgaire des philosophes, pour découvrir la vérité. S’il falloit attendre à former un raisonnement, qu’on s’appliquât à observer les regles du syllogisme, quand seroit-ce fait ? Il en seroit comme de ceux qui attendroient, pour danser un ballet, qu’ils eussent appris par les regles de la méchanique, la maniere dont il faut remuer la jambe : la vie entiere pourroit s’écouler, sans avoir fait le premier pas du ballet.

 

Connoître & agir, raisonner ou marcher, sont des puissances qui sont en nous sans que nous nous en mêlions. Ce sont des présens de Dieu. L’expérience, l’exercice & nos réflexions, plutôt que les regles, nous apprennent à raisonner vrai. Combien de gens dans l’étude de la logique, qui ont mis tout leur soin à connoître les secrets & la pratique du syllogisme, ne jugent pas plus sainement que d’autres hommes, des choses les plus ordinaires & les plus importantes de la vie ! Il est donc un autre exercice plus nécessaire pour découvrir la vérité ; & cet exercice est l’attention à la liaison immédiate qu’a une idée avec une autre idée, pour former une proposition juste & un jugement exact : c’est-là ce qu’on peut appeller l’essentiel & la derniere fin de la logique. Sans cette attention, l’exercice même du syllogisme pourroit éloigner de la vérité, degénérant en sophisme ; au lieu qu’avec cette attention seule, on peut se mettre à couvert de l’illusion des sophismes.

 

Au reste, dans tout ce que je viens de dire, je n’ai garde de blâmer ceux qui s’aident des regles syllogistiques pour découvrir la vérité. Il y a des yeux qui ont besoin de lunettes pour voir clairement & distinctement les objets ; mais ceux qui s’en servent, ne doivent pas dire pour cela que personne ne peut bien voir sans lunettes. On aura raison de juger de ceux qui en usent ainsi, qu’ils veulent un peu trop rabaisser la nature en faveur d’un art auquel ils sont peut-être redevables. Lorsque la raison est ferme & accoutumée à s’exercer, elle voit plus promptement & plus nettement par sa propre pénétration, que lorsqu’elle est offusquée, retenue & contrainte par les formes syllogistiques. Mais si l’usage de cette espece de lunettes a si fort offusqué la vue d’un logicien, qu’il ne puisse voir sans leur secours, les conséquences ou les inconséquences d’un raisonnement, on auroit tort de le blâmer parce qu’il s’en sert. Chacun connoît mieux qu’aucun autre ce qui convient le mieux à sa vue ; mais qu’il ne conclue pas de-là, que tous ceux qui n’emploient pas justement les mêmes secours qu’il trouve lui être nécessaires, sont dans les ténebres ; quoiqu’à dire le vrai il paroisse assez plaisant, que la raison soit attachée à ces mots barbara, celarent, darii, ferio, &c, qui tiennent tant soit peu de la magie, & qui ne sont guere d’un plus grand secours à l’entendement, qu’ils sont doux à l’oreille. Il a été sans doute permis à M. de Gravesande, de vouloir apprendre aux hommes à parler & à penser d’une maniere juste & précise, par un certain arrangement de lettres de l’alphabet. Mais il seroit fort injuste à lui de trouver mauvais qu’on se moquât d’une méthode si extraordinaire. Je pense, dit un critique moderne, que ces préceptes figureroient fort bien dans le Bourgeois Gentilhomme ; il me semble ouir M. Jourdain, a e e, a o o, o a o, e i o, e a e, e a o. Que cela est beau ! que cela est savant ! La façon d’apprendre aux hommes a raisonner est bien sublime & bien élevée.

 

Montagne ne se contente pas de mépriser, ainsi que Loke, les regles de l’argumentation ; il prétend que la logique ordinaire ne sert qu’à former des pédans crotés & enfumés.

La plus expresse marque, dit-il, de la sagesse, c’est une jouissance constante ; son état est comme des choses au-dessus de la lune toujours serein. Ces baroco & baralipton qui rendent leurs suppôts ainsi crottés & enfumés, ce n’est pas elle, ils ne la connoissent que par oui-dire, comme elle fait état de sereiner les tempêtes de l’ame & d’apprendre à rire la faim & les fievres, non par épicyles imaginaires, mais par raisons naturelles & probables.

Si Montagne avoit vu les a a & les o o du professeur hollandois, sans doute qu’il en eût dit ce qu’il a dit des baroco & des baralipton.

 

Enfin pour terminer ce que j’ai à dire sur le syllogisme, je dirai qu’il est principalement d’usage dans les écoles, où l’on n’a pas honte de nier la convenance manifeste des idées, ou bien hors des écoles à l’égard de ceux qui, à l’occasion & à l’exemple de ce que les doctes n’ont pas honte de faire, ont appris aussi à nier sans pudeur la connexion des idées qu’ils ne peuvent s’empêcher de voir eux-mêmes. Pour ceux qui cherchent sincérement la vérité, ils n’ont aucun besoin de ces formes syllogistiques, pour être forcés à reconnoître la conséquence, dont la vérité & la justesse paroissent bien mieux en mettant les idées dans un ordre simple & naturel. De-là vient que les hommes ne font jamais des syllogismes en eux-mêmes lorsqu’ils cherchent la vérité ; parce qu’avant de pouvoir mettre leurs pensées en forme syllogistique, il faut qu’ils voient la connexion qui est entre l’idée moyenne & les deux autres idées auxquelles elle est appliquée, pour faire voir leur convenance ; & lorsqu’ils voient une fois cela, ils voient si la conséquence est bonne ou mauvaise ; & par conséquent le syllogisme vient trop tard pour l’établir.

 

On croit, à la vérité, qu’il est à-propos de connoître le secret du syllogisme, pour démêler en quoi consiste le vice des raisonnemens captieux, par lesquels on voudroit nous embarrasser & nous surprendre, & dont la fausseté se dérobe sous l’éclat brillant d’une figure de rhétorique, & d’une période harmonieuse qui remplit agréablement l’esprit. Mais on se trompe en cela. Si ces sortes de discours vagues & sans liaison, qui ne sont pleins que d’une vaine rhétorique, imposent quelquefois à des gens qui aiment la vérité, c’est que leur imagination étant frappée par quelques métaphores vives & brillantes, ils négligent d’examiner quelles sont les véritables idées d’où dépend la conséquence du discours, ou bien éblouis de l’éclat de ces figures, ils ont de la peine à découvrir ces idées. Mais pour leur faire voir la foiblesse de ces sortes de raisonnemens, il ne faut que les dépouiller d’un faux éclat, qui impose d’abord à l’esprit, des idées superflues, qui, mêlées & confondues avec celles d’où dépend la conséquence, semblent faire voir une connexion où il n’y en a point ; après quoi il faut placer dans leur ordre naturel ces idées nues, d’où dépend la force de l’argumentation ; & l’esprit venant à les considérer en elles-mêmes dans une telle position, voit bientôt, sans le secours d’aucun syllogisme, quelles connexions elles ont entr’elles. Les meilleurs ouvrages que nous ayons, les plus étendus, les plus clairs, les plus profonds & les mieux raisonnés, ne sont point hérissés de syllogismes, ils ne sont qu’un tissu de propositions ; tant il est vrai que l’art du syllogisme n’est pas le moyen le plus immédiat, le plus simple & le plus commode de découvrir & de démontrer la vérité. Lisez le chap. xj. qui traite de la raison, liv. IV. de l’essai sur l’entendement humain, où l’inutilité du syllogisme est approfondie.

 

 

Littré

Terme de logique. Argument composé de trois propositions telles que la conséquence est contenue dans une des deux premières, et l’autre fait voir qu’elle y est contenue ; ces trois propositions s’appellent la majeure, qui contient l’attribut de la conséquence ; la mineure, qui en contient le sujet ; et la conséquence ou conclusion. Sais-tu bien ce que tu as fait ? un syllogisme in balordo.

… la majeure en est inepte, la mineure impertinente, et la conclusion ridicule. [Molière, Le mariage forcé]