METONYMIA / MÉTONYMIE
Définition de la Métonymie. Définition de la Synecdoche.
II. III. Je traite ensemble la Métonymie & la Synecdoche, parce que ces deux Tropes ont une très-grande affinité. La Métonymie consiste à nommer la cause pour l’effet, ou l’effet pour la cause ; le contenant pour le contenu, ou réciproquement ; le nom abstrait pour le nom concret, & le concret pour l’abstrait ; le moral pour le physique, le physique pour le moral. La Synecdoche emploie le tout pour la partie, ou la partie pour le tout ; le genre pour l’espece, ou l’espece pour le genre, & ainsi de plusieurs autres adaptations semblables, qui étant par leur nature des irrégularités d’expression, deviennent pas les circonstances des vertus du langage.
Exemples de Métonymie.
Le mot écrire signifie proprement tracer des caracteres sur le papier. On transporte le physique au moral, lorsque l’on dit d’un Auteur qu’il écrit bien, pour faire entendre que son style est beau & louable. La plume est l’instrument dont nous nous servons pour écrire. Nous disons, d’un homme qui a un beau style, c’est une belle plume, employant l’instrument pour la personne qui s’en sert, en même tems que nous passons du physique au moral. C’est par une semblable Figure que le fameux Orateur S. Jean, Evêque de Constantinople, a été appellé Chrysostome, c’est-à-dire, Bouche d’or. La bouche est l’organe de la parole, & par conséquent de l’Eloquence. La Métonymie est accompagnée ici de la Métaphore, au moyen de l’idée de l’or, qui exprime par ressemblance ce qu’il y a de plus parfait & de plus précieux.
On emploie quelquefois l’abstrait pour le concret, ou, ce qui revient presque au même en Grammaire, le substantif pour l’adjectif. Phedre a dit de la grue qui enfonce son cou dans la gueule du loup, qu’elle lui confie la longueur de son cou, c’est-à-dire, son long cou. Nous n’oserions parler ainsi en François. Mais nous disons pourtant, ceci est la vérité, pour dire est très-vrai ; & de même Lucile est loué par Boileau d’avoir
« Vengé l’humble vertu de la richesse altiere. »Au contraire le concret est mis pour l’abstrait dans ce vers excellent,
« Rien n’est beau que le vrai : le vrai seul est aimable. »
Nous disons aussi l’amour de l’honnête, pour signifier l’amour de l’honnêteté morale.
Un avis important sur ces sortes de Métonymies, c’est qu’il faut qu’elles soient autorisées par l’usage. J’ai vu un tems où ceux qui se piquoient de bel esprit affectoient la métamorphose de l’adjectif en substantif, & la prodiguoient sans discrétion. Ils disoient le délicieux, le doux, le riant, comme si ces noms étoient faits pour se soutenir par eux-mêmes dans la phrase. Ils prétendoient se distinguer : & ils y réussissoient, au point de se rendre inintelligibles & barbares. Cette mode a passé, pour faire place à d’autres, non moins contraires à la clarté & à la pureté du langage. Usons sobrement de ces hardiesses, & consultons sur tout ce que nous écrivons, la raison & l’usage.
Une autre sorte de Métonymie qui a quelque chose de plus fin, c’est celle par laquelle on attribue à l’auteur ou à l’ouvrage la chose même qui est racontée ou décrite. C’est ainsi que Despréaux dit de S. Amand, Auteur du poëme Moïse sauvé, que
« Poursuivant Moïse au travers des déserts,
(Il) court avec Phataon se noyer dans les mers. »
<Art Poétique, chant I>
Dans la définition de l’Ode <Chant III>, le même Despréaux mêle l’expression simple & le tour figuré. L’Ode, dit-il,
« Entretient dans ses vers commerce avec les Dieux…
Chante un vainqueur poudreux au bout de la carriere. »
Voilà la maniere simple d’exprimer les sujets dont l’Ode s’occupe. Le Poëte ajoute,
« Mene Achille sanglant aux bords du Simoïs,
Ou fait fléchir l’Escaut sous le joug de Louis. »
Ici le récit est transformé en action. Ce tour regne par-tout dans la Poétique de Jerôme Vida, ouvrage estimé à juste titre.
[...]
Usages de la Métonymie & de la Synecdoche.
Ce que nous venons de dire des changemens dans les tems & les personnes des verbes n’est point compris dans les définitions ni de la Métonymie, ni de la Synecdoche. Mais ce sont des Tropes très-ressemblans : & je n’avois point de meilleur endroit où placer ce que je devois en dire d’après Longin. Il me reste à faire quelques réflexions sur l’usage de la Métonymie & de la Synecdoche proprement dites.
On sent que cette liberté que nous prenons de nous servir d’un nom pour un autre, varie le discours, & enrichit la langue.
Elle sert aussi à abréger l’expression : c’est de quoi les hommes sont généralement très-curieux. Nous disons une Perse, pour signifier une toile fabriquée en Perse : un Damas, pour une étoffé [sic] de soie travaillée sur le modele de celles qui nous sont venues originairement de la Ville de Damas : de la Fayance, pour une vaisselle de terre cuite, dont l’invention & l’usage nous viennent de Faenza, ou Fayence, ville d’Italie. Ces mêmes figures servent aussi pour l’ornement, si ce n’en est déja un de varier & d’abréger. Mais j’entends ici par ornement ce qui jette un certain éclat. Si vous dites d’un homme extrêmement avare, c’est l’avarice elle-même en personne, votre expression, qui met l’abstrait pour le concret, acquiert par-là une grande énergie. Quand Boileau a dit :
« Chaque climat produit des favoris de Mars :
La Seine a des Bourbons, le Tibre a des Césars. »& ailleurs,
« Fouler aux pieds l’orgueil & du Tage & du Tibre. »
si vous rappelliez les expressions simples, & que vous dissiez grands guerriers, la France, l’ancienne Rome, les Espagnols, les Italiens, ces beaux vers perdroient beaucoup de leur grace & de leur prix.
L’usage de ces figures n’est pourtant pas borné au style oratoire. Il est aisé de voir par quelques-uns des exemples rapportés ci-dessus, qu’elles entrent dans le langage le plus ordinaire & le plus familier. On fait des Métonymies & des Synecdoches sans le vouloir & sans le savoir. Il ne s’ensuit pas delà que l’on puisse user indifféremment de ces expressions figurées, sans choix & à volonté. Il faut, comme nous le disions tout-à-l’heure, que l’usage les autorise, ou au-moins les permette. Quoique l’on puisse dire cent voiles pour cent vaisseaux, M. du Marsais remarque avec raison que l’on se rendroit ridicule, si l’on disoit dans le même sens cent mats ou cent avirons. On dit fort bien ce Village est de cent feux : on ne diroit pas qu’il est de cent cuisines. C’est là une des raisons pour lesquelles il est très-important à l’Orateur d’avoir étudié sa langue, & d’en connoître le bel usage.