PRAETERITIO / PRÉTÉRITION
La Prétérition est une Figure qui a du rapport avec la Concession, & elle consiste à feindre de passer sous silence ce que l’on dit néanmoins, mais en peu de mots, & sans y insister. On en fait usage, lorsqu’entre plusieurs faits il y en a de moins importans, sur lesquels on glisse pour appuyer sur ce qui intéresse davantage ; lorsqu’entre plusieurs moyens qui concourent pour prouver une proposition, il s’en trouve de foibles, mais qui ayant pourtant quelque utilité, ne doivent pas être négligées absolument. On les présente pour ne les pas perdre, mais on réserve tout le poids du discours pour ceux qui ont une grande force. Les exemples de cette Figure sont très-fréquens dans les Orateurs & dans les Poëtes.
« Qu’est-il besoin, Nabal, dit Mathan dans Racine qu’à tes yeux, je rappelle
De Joad & de moi la fameuse querelle,
Quand j’osai contre lui disputer l’encensoir :
Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon desespoir. »
Mathan coule légérement sur sa querelle pour le Pontificat, parce qu’il aime mieux développer ses intrigues de Cour.
« Vaincu par lui, j’entrai dans une autre carriere,
Et mon ame à la Cour se livra toute entiere. » &le reste.
Finesse cachée quelquefois sous le tour de Prétérition.
Quelquefois la Prétérition est un tour fin, par lequel on fait entendre ce que l’on ne veut pas expliquer ouvertement. Flaminius (a), dans le Nicomede de Corneille <Acte III. scene 2>, avoit dit à la Reine Laodice, que sa fierté manquoit de prudence, & que la hauteur de courage sans la prudence est une vertu brutale. Laodice sentoit que la politique Romaine ne s’accommodoit pas de trouver de la fierté dans une Reine à qui appartenoit un Etat puissant : & de plus elle étoit piquée du ton de menace que l’on prenoit avec elle, en l’avertissant de tempérer son courage par la prudence. Elle traite la premiere pensée par Prétérition, & elle s’attache à prouver qu’elle ne manque pas de prudence, rendant ainsi à l’Ambassadeur Romain menace pour menace.
« Ma prudence, dit-elle, n’est pas tout-à-fait endormie :
Et sans examiner par quel destin jaloux
La grandeur de courage est si mal avec vous,
Je veux vous faire voir que celle que j’étale,
N’est pas, tant qu’il vous semble, une vertu brutale. »
Elle explique ensuite dans tout le reste de la scène les ressources sur lesquelles est appuyée solidement sa fierté, & elle prouve qu’elle est en état non-seulement de se soutenir contre les Romains, mais de les faire trembler eux-mêmes.
<N.DdA. : (a) Le vrai nom de ce Romain est Flamininus. Mais citant Corneille, je dois suivre mon auteur.>
La Prétérition, qui est ici mon objet, est contenue dans ces deux vers :
« Sans examiner par quel destin jaloux
La grandeur de courage est si mal avec vous. »
comme si elle disoit à l’Ambassadeur, Un Romain comme vous devroit estimer la grandeur d’ame. Si donc vous la décriez jusqu’à la qualifier une vertu brutale, il faut que quelque intérêt caché vous fasse parler. Et cet intérêt est celui de votre politique ombrageuse. Telle est la finesse enveloppée sous cette Prétérition
Cette Figure est fort à l'usage de l'Eloquence du Barreau.
Le tour de Prétérition est encore plus à l’usage de l’Eloquence du Barreau, qui est souvent obligée d’entrer dans des détails de discussions de faits & de raisonnemens, & à qui il n’est permis de négliger rien qui puisse être utile à la cause. M. Erard, plaidant pour un fils réduit par le testament de son pere à sa légitime <p. 144>, remarque incidemment que ses parens l’avoient forcé malgré lui d’entrer dans les Ordres sacrés. Ce fait n’étoit pas essentiel à la cause, mais il n’y étoit pas indifférent. L’Avocat le traite par Prétérition. « Ma partie, dit-il, ne vous expliquera point, Messieurs, tous les moyens dont on se servit pour le faire consentir à sa promotion, ni ceux qu’il employa pour obtenir de ses parens que l’on ne le forçât point. Il oublie volontiers tout cela, parce qu’il est content de son état, & qu’il s’est accoutumé à l’aimer par devoir, comme s’il l’avoit choisi par inclination. » La Figure est ici accompagnée d’un sentiment de modération, qui fait honneur à la partie.
Je n’insiste pas davantage sur une chose connue & trop aisée. Je passe à un tour oratoire qui est d’une utilité plus marquée.