Quintilien, 94 : De l’Institution de l’orateur

Définition publiée par Emma Fanti

Quintilien, De l’Institution de l’orateur, trad. Nicolas Gédoyn, Paris, Grégoire Dupuis, 1718, livre troisième, chapitre VI, « Ce que c'est que l'estat de la Cause ; d'où il se prend ; si c'est le Demandeur ou le Deffendeur qui l'establit : Combien il y en a, & quels ils sont. », p. 169.

Quintilien, De l’Institution de l’orateur, trad. Nicolas Gédoyn, Paris, Grégoire Dupuis, 1718, livre cinquième, chapitre X, « Des Arguments. », p. 299-301.

LIVRE TROISIÈME

[...]

CHAPITRE VI.

Ce que c'est que l'estat de la Cause ; d'où il se prend ; si c'est le Demandeur ou le Deffendeur qui l'establit : Combien il y en a, & quels ils sont.

[...]

De sçavoir maintenant combien il y a de sortes d'estats, leurs noms, leurs différences, c'est ce qui n'est pas aisé : car on diroit que les auteurs qui ne sont jamais d'accord sur rien, ont affecté icy de s'expliquer tous différemment les uns des autres. [...] 

D'autres auteurs en proposent neuf. [...] Le temps, par exemple si celuy-là est né esclave, (b) qui est venu au monde, pendant que sa mere estoit asservie à ses créanciers ?

(b) Ceux qui estoient insolvable, de venoient pour un temps comme les esclaves de leurs créanciers. On les appelloit addicti, quia addicobantur à pratere

[...]

LIVRE CINQUIÈME

[...]

CHAPITRE X. Des Arguments. 

[...]

Le temps, comme j'ay desja dit ailleurs, se considére en deux maniéres. L'une générale, qui comprend le passé, le présent, & l'avenir ; & qui s'exprime par ces façons de parler, à present, autrefois, sous Alexandre le Grand, durant le siege de Troye, &c. l'autre particuliere qui se marque par certaines différences prises de la nature, ou du hazard, comme, lorsque nous disons, en esté, en hyver, de jour, de nuit, ou bien, pendant la peste, durant la guerre, dans un festin, &c. Quelques-uns de nos Rhéteurs ont crû que c'estoit assez distinguer ces deux manieres, que d'appeller [p. 300 ; V, 10] la premiére en général le temps, & la seconde, les temps. Quoy qu'il en soit, il est certain que l'une & l'autre meritent une attention particuliére, soit dans le genre démonstratif, soit dans les délibérations, mais encore plus dans le genre judiciaire. Car outre que la circonstance du temps donne matiere à plusieurs questions de Droit, qu'elle sert à distinguer la qualité du fait, & qu'elle entre naturellement dans la discussion des causes, dont l'estat est conjectural; on en tire quelquefois des preuves qui sont incontestables; comme, par exemple, si on produisoit une piece dont la datte fust postérieure à la mort d'une des personnes que l'on dit y avoir signé, ou, si l'on vous accusoit d'un crime, & que dans le temps qu'on suppose que vous l'avez commis, vous fiffiez voir que vous n'estiez qu'un enfant, ou mesme que vous n'estiez pas encore né.

Ce lieu est d'une si grande estenduë, qu'il est aisé d'y rapporter la pluspart des arguments, puisqu'ils naissent presque tous ou de ce qui précede, ou de ce qui accompagne, ou de ce qui suit. De ce qui précede, par exemple; Vous l'aviez menacé, vous estes sorti pendant la nuit, & vous avez pris les devants pour l'aller attendre sur le chemin. De ce qui accompagne, on a entendu du bruit, des clameurs, & des cris. De ce qui suit, vous vous estes tenu caché, vous avez pris la fuite, son corps est devenu tout livide & enflé. Les causes mesmes pourquoy une action s'est faite, se rapportent assez naturellement au passé. Il y a d'autres divisions ausquelles je ne m'arreste pas, parce qu'elles sont plus subtiles que nécessaires. Je ferai seulement observer que le deffendeur de son costé approfondit aussi la circonstance du temps, pour destruire ce qui luy est objecté. En effet, ce lieu renferme toute la suite des dits & des faits qui entrent dans un procès.

Mais ces dits & ces faits s'éxaminent par rapport au passé ou à l'avenir: car il y a des choses que l'on fait parce que l'on en doit faire d'autres ensuite, & il y en a qui se font parce qu'il s'en est desja fait d'autres auparavant. Par exemple, le mary d'une belle femme est accusé de la prostituer, & entre autres preuves on en donne celle-cy, qu'il a espousé cette femme, quoy qu'elle eust esté convaincuë [p. 301; V, 10] d'adultere. Un jeune débauché dit à son pere qui luy remontre son devoir, de vostre vie vous ne me ferez de ces reprimandes. Le pere est trouvé mort, on accuse le fils de parricide. Dans le premier de ces deux exemples, cet homme ne prostituë pas sa femme parce qu'il l'a espousée; mais il l'a espousée parce qu'il la vouloit prostituer. Et dans le second, ce fils ne tuë pas son pere pour luy avoir parlé ainsi; mais il luy a parlé ainsi, parce qu'il avoit un dessein formé de le tuer.

Quant aux évenements qui sont l'effet du hazard, desquels on tire aussi des arguments, sans doute ils se rapportent encore à ce qui a suivi; & d'ordinaire on les releve par quelque qualité particuliere à la personne de qui l'on parle. Scipion estoit meilleur Capitaine qu'Annibal. Il a vaincu Annibal. C'est un habile Pilote, il n'a jamais fait naufrage. C'est un bon Laboureur, il a fait une riche moisson; ou de cette autre maniere; il a tousjours esté homme de despense, il s'est ruiné. Il a mené une vie honteuse, il est mesprisé de tout le monde.