PANEGYRICA (ORATIO) / PANÉGYRIQUE
LA RHETORIQUE DE LA CHAIRE, LIVRE TROISIEME.
CHAPITRE I. Du Panegyrique.
PUisque dans le Traité precedent nous avons assez anplement parlé du Sermon, de la maniere de le conposer & d’en parler, suit que dans celuy-cy nous considerions l’Art de bien reüssir dans la conposition & dans la conduite du Panegyrique & de l’Oraison Funebre.
Comme les Ouvrages quels qu’ils puissent estre, tirent leurs principales differences de la [ p. 421 ] diversité ou de leur matiere, ou de leur forme. ou de leur fin, on ne peut pas nier que les trois Pièces suivantes ;
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Le Sermon.
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Le Panegyrique.
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L’Oraison Funebre.
Qui font la principale ocupation des Orateurs éclesiastiques, ne soient tout à fait differentes les unes des autres.
Le Sermon roule sur la Doctrine & sur la Morale de l’Evangile, que les Predicateurs doivent annoncer au Peuple, pour la créance & pour les Mœurs.
Le Panegyrique proprement pris regarde ou les Mysteres de la Religion pour les faire admirer & croire ou le merite des Saints & des Saintes, pour réjoüir les Fideles, pour les consoler dans la persecution, pour les confirmer dans la foy, & pour les porter à suivre de si beaux exenples de pieté, de charité, de courage & de constance.
Enfin l’Oraison Funebre suppose la memoire du merite des grands Hommes, dont la mort & la perte sont en plus grande consideration dans l’Eglise & dans l’Estat que celle des autres.
Comme de toutes les Piéces oratoires & pathetiques qui expriment, & qui excitent le sentiment des Panegyristes dans l’ame de leurs Auditeurs, il n’y a que le Panegyrique qui est pour la naissance & pour la confirmation de la joye, l’Oraison funebre regarde la tristesse. Le [ p. 422 ] Panegyrique commence, continuë & finit par la joye & par l’allegresse, & l’Oraison Funebre au contraire, commence, continuë & finit par les larmes & par les pleintes : les Panegyristes augmentent la joye par l’exageration des avantages qu’ils exposent, & les Funebristes, au contraire augmentent l’afliction le plus qu’il leur est possible, par l’exageration de la perte que font les Auditeurs, qu’ils tâchent de diminuer, pour donner de la consolation à ceux qui la souffrent, nous ne traiterons que de ces deux sortes de Discours pathetiques en faveur des jeunes Predicateurs & de ceux qui sont bien aises d’en juger & d’en parler pertinenment.
Pour avoir une parfaite connoissance du Panegyrique, pour en penetrer l’esprit & pour conduire judicieusement les jeunes Predicateurs, dans la conposition de cette sorte de discours, qu’ils font pour exprimer leur sentiment & pour l’exciter dans l’ame de leurs Auditeurs, nous devons remarquer que ce Discours chrétien, pathetique & passionné, qui doit exprimer & exciter leurs parssions ou bonnes & loüables comme sont l’Amour, l’Estime, le Respect, la Veneration, l’Admiration, la Devotion, la Joye & l’Allegresse, ou au contraire, diminuer la passion qui est fâcheuse & oposée aux precedentes, a deux Especes.
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L’Une est generale, qui regarde les Genres judiciaire & deliberatif, qui apartient à la Rhetorique du Bareau & du Conseil.
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-L’Autre est speciale qui apartient au Genre demonstratif dont il s’agit en ce lieu.
[ p. 423 ] Le Discours panegyrique specialement pris a deux Especes.
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L’Une est principale.
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L’Autre est moins principale, comme sont la Reconnoissance, la Dédicace, leVœu, &c. qui ne sont pas de ce Systeme.
Le Discours Panegyrique principal, dont il s’agit icy, a deux Especes, qui sont.
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La Loüange.
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La Conjoüissance dont il ne s’agit pas icy.
La Loüange a sous elle deux Especes.
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L’Une est directe ou proprement prise.
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L’Autre est indirecte & inproprement prise. Le Panegyrique ou l’Eloge direct & proprement pris, se fait lors que les Predicateurs font l’Eloge des choses qui tirant leur merite d’elles-mêmes sont tres-dignes des loüanges qu’ils leur donnent, puis qu’elles se tirent du fonds ou sujet.
Cette sorte de Panegyrique a deux Especes.
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L’Une se fait absolument.
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L’Autre se fait par conparaison avec une autre chose loüable, ou plus ou moins, dont il n’est pas icy question.
L’Eloge ou le Panegyrique absolu pur & sinple, se fait lors que les Predicateurs loüent quelque vertu sinplement & absolument, sans en faire aucune conparaison avec une autre chose, qui est ou plus ou moins loüable.
La Conduite de l’Orateur, dans la conposition, dans l’economie & dans l’ordonnance de l’Eloge absolu, dépend des sept Maximes suivantes.
[ p. 424 ] I. Les Panegyristes ne doivent enploier dans l’Eloge que des pensées choisies, avec beaucoup de soin, les plus belles, les plus brillantes & les plus rares, parce que celles qui sont basses, vulgaires & renpantes diminuent beaucoup de la magnificence du sujet, au lieu de lui donner de l’éclat & de le rendre ponpeux, & que par de telles considerations en blame, pour ainsi dire, au lieu de loüer.
Comme il n’est pas possible de mieux écrire du Panegyrique, de ses regles & de toutes ses parties, qui sont comme infinies, qu’a fait Scaliger, dans son livre de la Poësie chap. 100. & suivans, ou dans cet admirable Traité, qu’il sousordonne à la Rhetorique, il donne beaucoup de beaux preceptes oratoires, nous ne pouvons nous deffendre d’en donner avis aux jeunes Predicateurs, où ils verront entr’autres, comme au ch. 101. cette regle que, ne pouvant pas dans un même acte de l’Ouvrage, exposer tout ce que la feconditè du sujet, la beauté, l’utilité, la necessité & le plaisir senblent exiger de la diligence des Panegyristes ; il faut faire choix des actes les plus heroïques, les plus recommendables, les plus touchans, les plus tendres, les plus beaux, les plus consolans & les plus edifians.
II. Puis que l’Eloge est une action de l’Orateur qui suppose le recueil de toutes les choses du sujet qui sont les plus loüables, on doit dire que l’expression ou la peinture la plus éclantante, & la description la plus avantageuse qu’ils en puissent faire, est le fondement de l’Eloge & la maniere de s’y prendre, la plus asseurée, & qu’à dire les choses [ p. 425 ] comme elles sont, il n’est autre chose qu’un Tableau & qu’une agreable exposition ou publication passionnée & pathetique, de tout ce qui releve le merite & la gloire de l’Illustre que l’on panegyrise.
Quoy que nous aions parlé assez anplement de la Description dans la deuxiéme partie de cét Ouvrage, en traitant de l’anplification, auquel lieu nous renvoions le Lecteur, comme aussi à nostre Rhetorique civile, nous ne laissons pas de remarquer qu’il y a quatre Especes de description de Tableaux ou de Peintures, qui sont.
1. Le Parallele ou l’Enblême.
2. L’Image ou le Tableau.
3. L’Etymologie nominale.
4. L’Hypotypose ou Description.
Et que l’une de ces quatre donne beaucoup de grace au Panegyrique.
1. Par le Parallele ou l’Enblême nous entendons la conparaison, le raport ou la confrontation de quelques qualitez du Heros, que l’on Panegyrise, avec quelques autres qui lui conviennent le mieux, & qui comme des traicts & des couleurs étrangeres & enpruntées, donnent beaucoup d’éclat & de lustre à sa vertu, comme l’enbléme d’un intrepide, avec le lion, en relevant le courage de l’un, pour faire paroistre la valeur de l’autre, & comme sont aussi les Paraboles & les autres allusions.
2. Par l’Image nous entendons la Peinture qui se fait du corps, ou de quelques-unes de ses parties, que l’on apelle le portrait, ou portraire ; comme. Et quoy que l’inconparable saint Paul ne fût ny de ces grandes tailes qui sont bien souvent moins utiles qu’incommodez, ny non plus de ces tailes basses & deprimées qui n’ont rien de recommandable, il ne laissoit pas, comme il le remarque luy même, d’avoir un certain air de majesté, de credit & d’autorité, &c.[ p. 426 ]
3. Par l’Etymologie, nous entendons le raport des mœurs du Heros que l’on Panegyrise avec son nom, quand il est heureux & favorable, qui donne lieu de faire d’agreables Tableaux des actions de la vie du Saint. Comme sont les noms des Patriarches, le Tu es Pierre, & sur cette Pierre j’edifieray mon Eglise & le Boanerges de l’Ecriture, & ainsi qu’il se voit dans la II. Verrine de Ciceron, O Verrea, inquit, praclara, &c. dans la V. de Sicile ravagée, & dans la VI. du sac d’une Ville prise & sacagée.
4. Par l’Hypotypose nous entendons le recüeil de tous les accidens, adjoints, actes, circonstances, ou formalitez qui établissent, singularisent & signalent quelques actions ou quelque fait, qui est la principale & la veritable Peinture, ainsi qu’il se peut voir dans les Exenples de l’Hypotypose que nous avons donné dans la deuziéme partie de ce Systeme, & ainsi qu’il se peut voir dans celle qui suit qui est de Jesus - Christ en Croix, de saint Augustin : Inspice vulnera pendentis Christi ; sanguinem morientis, precium redimentis, cicatrices resurgentis : caput habet inclinatum ad osculandum ; cor apertum ad diligendum, manus extensas ad amplectendum, &c.
III. S’il arrivoit que les Auditeurs ne fussent pas bien informez ny bien instruis du sujet de l’Eloge, il est de la prudence des Panegyristes d’en faire une succinte exposition qui en precede le Panegyrique.
IV. Et au contraire, s’il arrive que les Auditeurs soient tout à fait bien instruis du sujet ou du Saint dont ils veulent entendre le Panegyrique, il est de la conduite du Panegyriste de choisir les pensées de l’explication & de la description qui lui senblent les plus belles, & les plus éclatantes, & qui sont les [ p. 427 ] plus propres pour toucher le cœur des Auditeurs, & pour les porter à l’amour, à l’honneur & au respect, à la veneration, à l’imitation, &c. comme sont principalement celles qui se tirent des trois sources suivantes.
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Les Causes.
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Les Proprietez.
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Les Effets.
Surquoi il faut remarquer avec tout le soin imaginable, qu’il ne faut prendre que les causes, les proprietez & les effets qui sont les plus propres & qui font le mieux au sujet & comme specifiques, qui marquent son vrai caractere, & qui le distinguent de tous les autres Saints : car autrement l’Eloge qui se feroit d’un tel Saint seroit commun, & comme, tel il ne seroit pas l’Eloge de ce Saint, ny surprenant ni propre, pour exciter l’amour, pour donner de l’admiration & faire naistre le respect, parce qu’il ne seroit pas specifique ou particulier.
V. Les Pensées ou les argumens qui doivent regner dans l’Eloge sont les Anplifications, tant les inartificieles que les artificieles.
Les principales Anplifications artificieles se tirent de ces deux endroits.
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Les Exenples.
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Les Opposez.
Et les Anplifications inartificieles se tirent du têmoignage qui est.
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-De Dieu même.
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Des Hommes. [ p. 428 ]
Qui ont loüé & recommandé le sujet ou la même vertu.
VI. Les Entrées & les issuës dans ces sortes de Discours doivent avoir quelque chose d’inpreveu, de surprenant, de ponpeux & de magnifique.
Et quoy que les parties de l’Eloge, pour l’ordinaire, doivent estre diffuses & étenduës pour la ponpe & pour la magnificence des pensées, des sentences, des expressions & des figures, on peut dire que la surprise & la precipitation, & dans l’Exorde & dans la peroraison, donnent une merveilleuse grace à ces sortes de Discours.
Comme la Prudence est la conpagne inseparable de l’Eloquence, il est de la discretion & de la conduite du Panegyriste d’en user d’une façon ou d’autre, selon les circonstances qui se presentent qui sont le sujet, le lieu, le tenps & les personnes.
VII. Les sinples paroles doivent estre vigoureuses & energiques.
Les Tropes, ou les termes enpruntez, comme sont les Metaphores, les Allegories, les Metonymies & les Synecdoches doivent estre fleuris, brillans & frequents.
Les Phrases & les Figures qui sont les plus ponpeuses & les plus magnifiques, y doivent estre enployées.
L’Action, c’est à dire l’air, le ton de la voix, le mouvement des yeux & le geste doivent estre [ p. 429 ] proportionnez à la grandeur du sujet ; c’est pourquoy elle doit tenir quelque chose du commun, de mediocre & de l’heroïque.
L’Eloge consideré au regard de son sujet a deux especes.
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L’Une est des choses les plus dignes & les plus excellentes.
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L’Autre est de celles qui le sont beaucoup moins.
L’Eloge qui se fait des choses qui sont les plus dignes & les plus considerables, a trois especes, parmy les Chrétiens.
L’Hymne pour la Divinité.
L’Eloge proprement pris, qui est pour les Anges.
Le Panegyrique proprement pris, qui est pour les Mysteres de la Religion, pour les Saints, les Martyrs, &c.
Nous sommes obligez d’avertir les jeunes Predicateurs, que les cinq termes suivans.
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L’Hymne. - Le Panegyrique.
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L’Eloge. - Le Psalme.
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Le Cantique.
Ne sont pas tout à fait differens, & que l’usage plûtôt que les choses ou les actes en a fait la difference, desquels le Panegyrique, pour le Grec, l’Eloge pour le latin, & la Publication ou le recit pour le françois, en est comme le genre & le principal.
Le Cantique signifie le plus petit éloge, en étenduë, qui se fasse, que nous apellons chanson de devotion qu’on nomme spirituele, mais sans instrumens & sans harmonie : l’Hymne est un Eloge ou un recit de choses saintes, divines ou sacrées, mais de plus [ p. 430 ] grande étenduë que le Cantique, & aussi sans le secours des instrumens de Musique, & sans synphonie ou harmonie.
Le Pseaume est un Eloge divin qui conprend le Cantique & l’Hymne, mais auquel anciennement & du tenps de David se joignoient les instrumens de Musique que l’on marioit avec la voix, pour le rendre plus harmonieux, plus tendre, plus touchant & plus pathetique, soit en soliloque, ou personne seule, soit en Dialogue, dans lequel on peut enploier tous les actes de devotion.
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La Loüange ou Psalmodiation.
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La Confession ou l’Adveu.
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Le Vœu ou le Sacrifice.
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La Priere ou la Demande.
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-La Contenplation ou l’Admiration.
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La Meditation ou la Reflexion.
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L’Action de Grace, &c.
Qui sont en usage parmi les Chrêtiens, comme autresfois parmi les Juifs, du tenps du Prophete Royal.
Le Panegyrique ou l’Eloge est un terme parmy les Predicateurs qui conprend les quatre autres, mais sans versification & sans harmonie, par l’extension & par l’elevation & l’abaissement des voieles, selon la mêsure de la versification, parce que la Musique est moins expeditive que la Prononciation ou la Declamation ordinaire, ainsi que nous le voyons dans le recit des Poëmes qui se declament harmonieusement dans l’Academie des Opera, dans lesquels l’on publie peu de chose en beaucoup de tenps comme aussi dans les Psalmodiations ordinaires ou l’Eglise n’enploi que fort peu de versets qu’elle tire des Pseaumes de David.
La Conduite du Panegyriste dans la conposition de l’Hymne dépend de la Maxime suivante.
Comme les Pensées qui peuvent estre [ p. 431 ] enployées dans l’Hymne, c’est à dire dans l’Eloge de Dieu, dependent de la perfection de son Essence qui est infinie, & de ses Attributs qui le sont aussi, on peut dire qu’il est inpossible de les remarquer toutes, comme dans le Panegyrique qui se fait de ses creatures. Et afin que le Panegyriste & les Auditeurs se puissent dégager agreablement & utilement de cette infinité de perfections qui sont en Dieu ou comme Createur, ou comme Puissant, ou comme Sage, &c. il les faut acomoder aux circonstances, du lieu & du tenps, &c.
La Maxime precedente nous aprend que le Predicateur est obligé de faire trois sortes d’Hymnes ou de celebrations divines.
1. Celle de Dieu Pere qui envoye.
2. Celle de Dieu Fils qui est envoyé.
3. Celle de Dieu Saint Esprit qui confirme & qui sanctifie.
Soit dans des Discours separez & faits exprez, soit dans les autres Discours, ou Sermons, ou Panegyriques, selon les ocasions, où il a toujours lieu de loüer la Divinité.
L’Hymne est un terme grec qui de tout tenps a esté enploié à signifier & à publier les loüanges de Dieu, non seulement parmi les Poëtes, mais encore parmi les Orateurs, comme qui diroit le chant & la celebration des loüanges de Dieu. Nous ne pouvons pas mieux en parler que le grand Scaliger en a écrit au 2. l. de sa Poëtique ch. 112. quand il dit Dei Laus sit in pectore, in animo, universaque cogitatione versari debet : quidquid sine ejus communione facias, id vere factum ne putes.
La Conduite du Panegyriste dans la [ p. 432 ] conposition de l’Eloge des Anges dépend de la Maxime qui suit.
Les Principales considerations qui doivent estre enployées dans le Panegyrique des Anges, doivent estre prises de deux endroits principaux.
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Les Proprietez.
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Les Effets.
Surquoy il faut observer que les Panegyristes se doivent conduire dans la conposition de ces sortes d’ouvrages avec tant de jugement, que dans leur Eloge, ils ne donnent pas aux Anges les perfections & les loüanges qui ne conviennent qu’à la seule Divinité, & qu’ils n’excitent dans leurs Auditeurs que des mouvemens proportionnez à l’excellence de ces sortes de Creatures, afin que la veneration qu’ils auront pour les Anges soit differente du culte qu’ils doivent à Dieu, qui est le premier principe & la derniere fin de toutes choses.
Comme les Panegyriques des Saints, par des Discours étendus sont plus ordinaires que les Hymnes pour Dieu & que les Eloges pour les Anges, à cause que Dieu a suffisanment fait son Eloge dans la creation de l’Univers, & que ce qui est invisible de luy, comme sa Bonté, sa Puissance, sa Sagesse & sa Providence, se voient facilement dans la creation & dans la conduite du monde, nous y insisterons d’avantage.
Et parce que les Hommes ne peuvent estre considerez qu’au regard de trois états qui sont.
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[ p. 433 ] Celui de la Gloire, dans le Ciel.
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Celui de la Grace sur la Terre.
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Celui de la Raison dans la vie civile.
Nous voyons que les Panegyristes n’en peuvent faire que trois Eloges.
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Celuy des Saints qui sont au Ciel.
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Celuy des Grands Hommes.
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Celuy des Hommes ordinaires.
Et comme il n’y a proprement que le Panegyrique des Saints qui fasse l’ocupation des Predicateurs, nous renvoyons les deux autres à la Rhetorique civile que nous avons faite pour ces sortes de sujets, & nous n’insisterons que sur le Panegyrique proprement pris, qui ne peut estre que celuy des Saints.
Le Panegyrique propremeut pris, qui fait la seconde fonction des Predicateurs, est de deux sortes, en quelque maniere, selon la diversité des deux sexes.
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L’Un est celuy des Saints.
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L’Autre est celuy des Saintes, qui ne donnent pas moins d’ocupation aux Predicateurs que celuy des Saints.
De l’Eloge des Saints. Article I.
LA Conduite du Panegyriste dans la conposition & dans l’ordonnance de l’Eloge des Saints dépend des trois Maximes qui suivent. [ p. 434 ]
I. Ce que nous avons dit de l’Eloge en general, dans la quatriéme des Maximes generales precedentes, a son usage en celle-cy ; c’est pourquoy nous devons remarquer que le fondement du Panegyrique d’un Saint, quel qu’il puisse estre, dépend d’une exacte description qui se doit faire des choses qui senblent les plus considerables, & qui font sa difference particuliere ou individuele, comme on parle ; de laquelle description personele, ainsi que d’une feconde pepiniere, le Panegyriste doit tirer toutest les considerations qu’il estime les plus propres, selon les circonstances, pour exciter ses Auditeurs à l’admiration, à l’estime, au respect, à l’amour & à l’imitation de la vie de la personne dont il publie le merite, & la gloire.
II. Comme la diversité des periodes de l’âge oblige à faire des reflexions tres-particulieres, il est à propos que le Panegyriste s’y arrête quelquefois, selon qu’il le juge à propos, pour donner de l’éclat & du poids aux considerations les plus solides, qu’il enploye dans l’Eloge qu’il fait de la personne dont il celebre la memoire.
III. Si la varieté des periodes de l’âge fournit quelquesfois des pensées qui donnent du relief aux plus belles actions de la vertu du Saint, celles qui se prennent de la condition & de l’enploy de la même personne ne sont pas moins considerables. [ p. 435 ]
Et comme la vie ou publique, ou privée met un homme en estat de faire plusieurs belles actions extremément differentes les unes des autres, les Predicateurs ne doivent pas obmettre cette circonstance, non plus que celle qui regarde les vertus intellectueles, qui sont les sciences ou speculatives ou pratiques, ou civiles qui sont ou politiques ou œconomiques, ou morales & personneles ; toutes lesquelles considerations fourniront une anple matiere aux anplifications, aux enrichissemens, aux ornemens & aux varietez, de l’Eloge & de toute l’action du Panegyriste.
De l’Eloge des Saintes. Article II.
LA Conduite du Panegyriste dans la conposition & dans l’ordonnance des Panegyriques des Saintes dépend des cinq Maximes suivantes.
I. Comme il y a un plus grand nonbre de Saints que de Saintes, & que leurs enploys & leurs actions ont esté plus frequentes, plus élevées & plus surprenantes ; on peut dire que l’Eloge des femmes Saintes donne moins d’occupation aux Panegyristes que celuy des Saints, qui, par le privilege de leur sexe, ont toujours eu de grans avantages qui les ont [ p. 436 ] rendus beaucoup plus recommandables dans toutes les actions de leur vie.
II. Pour avoir une plus grande facilité dans la conposition & dans l’Economie du Panegyrique des Saintes, nous devons remarquer qu’il ne peut estre tiré que de deux considerations principales.
LesVnes sont generales ou communes à tout le sexe.
Les Autres sont speciales ou particulieres à quelques-unes.
Les Considerations generales qui regardent l’Eloge des Femmes, conprennent les vertus qui sont propres à leur sexe, comme sont la Pudeur, la douceur, la modestie, la delicatesse, en suite l’œconomie, le soin du ménage, &c. Comme ces vertus du sexe n’ont rien d’extrordinaire, elles ne peuvent faire le fondement de leur Eloge, mais elles servent à le renplir & à le leur rendre propre, parce que les vertus Chrétienes qui en sont le fondement sont communes & senblables dans l’un & l’autre sexe.
III. Les Considerations speciales, au contraire, conprennent les vertus qui tenant plus du sexe masculin, ont eu quelque chose de plus heroïque que celles, qui sont communes & ordinaires au sexe feminin, comme sont principalement.
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La Magnanimité. [ p. 437 ]
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La Patience.
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La Taciturnité ou le silence.
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La Prudence.
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La Connoissance des belles choses, & des plus relevées, y ayant eu des Saintes tres-sçavantes.
IV. Comme ces sortes de considerations speciales sont tres-propres pour les Anplifications & les Exagerations, les Panegyristes ne les doivent pas obmettre, & principalement celles qui distinguent ces Saintes Femmes d’avec les Hommes, qui n’ont pas eu les mêmes avantages, & qui n’ont pas exercé les mêmes Vertus, & même d’avec les femmes ordinaires, dont la vie n’a rien eu d’extrémement recommandable.
V. Les Enrichissemens, les Ornemens & l’action dans les Metaphores, & dans les Figures, le mouvement des yeux & du visage ne doivent avoir d’autres marques que celles de la douceur, de l’agréement, de la tendresse, & de la delicatesse, qui est le veritable caractere du sexe.
CHAPITRE II. Du Panegyrique Solennel.
NOus avons parlé du Panegyrique en general au regard du merite des Saints [ p. 438 ] suit que nous considerions les degrez de leur excellence, qui le rendent ou plus, ou moins solennel & ponpeux.
Le Panegyrique le plus solennel & le plus ponpeux a deux especes.
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L’Une regarde les Personnes.
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L’Autre regarde les Misteres.
Nous appellons le Panegyrique solennel, celui qui engage toute l’Eglise à la solennité de son sujet, qui a le plus eclaté dans l’Eglise, comme sont les Apostres, & les Saintes, comme Madeléne, &c. Et les sujets moins solennels, sont particuliers à certaines Communautez, Patronages & Fondations, qui n’estant pas si solennels, ny si publiques & n’engageant pas toute l’Eglise, ne demandent pas tant de ponpe ni tant de magnificence, de la part des Panegyristes, & la plus part des Panegyristes n’estans pas avertis de cette difference & de cette exception donnent la torture & la genne à leur esprit, pour rendre le Panegyrique de saint Pierre d’Alcantara, par exenple, aussi riche & aussi ponpeux que celui de saint Paul ou de saint Augustin. Ce qui se fait contre les regles du Panegyrique, qui doit tirer son lustre principal du merite du Saint dont on celebre la memoire & non pas de l’industrie de son esprit ou de son art, & faire comme les Avocats des Parties qui doivent defendre leur droit, mais qui ne doivent pas l’aumenter.
En effet si nous cousultons la langne greque qui nous a fourny le nom de Panegyrique, nous verrons[ p. 439 ]
par la sinple consideration des sinples termes qui le conposent, qu’il ne signifie que ces sortes d’eloges des grands Hommes ou des grandes actions & solennitez qui se recitoient devant tout le Peuple, de tenps en tenps, qu’ils apelloient Olinpiades, dans les lieux publics destinez à ces usages, comme aux Jeux olinpiques, istmiques, &c. à cause des rares merites des personnes qui en faisoient le sujet, qui ne pouvant donner que de l’admiration à toute l’assenblée, estoit une piece d’Eloquence qui devoit estre publique ; d’où vient que les Eloges qui n’ont pas ces avantages qui s’écrivent seulement, & qui ne sont jamais recitez devant le peuple, mais devant quelques personnes familieres, ne sont pas de veritables Panegyriques, c’est à dire des Loüanges publiques, puis qu’on ne les recite jamais, à la façon des Panegyriques.
Ceux qui voudront voir un beau Traité du Panegyrique, doivent lire le Chap. 3. du 3. Livre de la Poësie de Scaliger, où cét Auteur en parle anplement & sçavanment.
Outre les Maximes generales & particulieres que nous avons donné de l’Eloge, nous devons considerer ces deux autres qui suivent.
I. Comme il n’y a que les sujets, grands, ponpeux & magnifiques, qui soient la veritable matiere du Panegyrique, les Panegyristes ne doivent pas se persuader que toutes choses en puissent estre l’objet, du moins celuy des plus solennels.
II. Puis que le plaisir & la joye sont la fin de la Loüange, nous devons dire que les mouvemens du Panegyrique doivent estre moins animez, & moins enportez que dans les jnvectives & dans les reprimandes ; c’est [ p. 440 ] pouruoy nous devons dire que les effets de l’Eloge ne peuvent estre que les passions extremément douces, comme sont.
1. La Ioye. 5. La Devotion.
2. Le Plaisir. 6. La Veneration.
3. La Faveur. 7. L’Admiration.
4. L’Honneur. 8. L’Emulation.
Qui doivent estre le terme principal de l’Invention, de l’Anplification, de l’Ornement & de l’Action oratoire.
Du Panegyrique solennel des Mysteres. Article II.
LA Deuxième espece du Panegyrique le plus solennel regarde les Mysteres de l’Eglise, comme l’Incarnation, l’Assonption, la Transfiguration, qui demandent de prodigieux efforts d’Eloquence, comme aussi toute sa magnificence & toute sa ponpe, parce que la matiere & le merite en sont capables.
La Conposition & la conduite du Panegyriste dans une telle conposition dépend des Maximes qui suivent.
I. Les Qualitez, les Actions, les Passions mêmes & les veritez se loüent ordinairement par les considerations qui se tirent des trois sources suivantes.
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Les Causes efficientes. - Les Proprietez.
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Les Effets.[ p. 441 ]
De même que les Anplifications qui se prénent.
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Des Conparaisons.
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Des Exenples.
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Des Opposez.
Qui ont eu plus d’usage dans ces sortes de Discours.
II. L’Eloge des Relations se tire de quatre principaux endroits.
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Le Fondement.
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Le Terme.
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Les Effets.
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Les Sujets.
Qui regnent sur tous les autres dans ces sortes d’actions solenneles.
Comme la division des Rhetoriciens qui divisent l’Eloge en trois especes qui regardent.
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Les Personnes.
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Les Actions.
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-Les Choses.
N’est pas extremément bonne, puis qu’elle conprend & les choses qui sont inanimées & les bestes mêmes, nous avons estimé qu’il ne la faloit pas suivre & qu’il en faloit donner une qui fût chrétiéne & qui ne parlât que des sujets de pieté, comme sont l’Evangile, les Mysteres & la sainteté des Bien-heureux qui sont dans la gloire.
Apres avoir fait connoistre que le Panegyrique, qui est l’un des principaux enplois de l’Eloquence, ne suppose que ce qu’elle a de plus beau, de plus agreable, de plus fleury, de plus ponpeux & de plus magnifique, dans les [ p. 442 ] pensées, dans ses sentences, dans les descriptions acumulées, dans les Metaphores, dans les figures surprenantes & non atenduës.
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La Demande.
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La Suspension.
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Le Silence.
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L’Apostrophe.
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L’Exclamation & les autres.
Nous devons finir ce Traité par la plus belle idée du Panegyrique qui se puisse donner, & qui conpréne toutes les autres qui s’y peuvent reduire.
La plus parfaite idée du Panegyrique qui se puisse donner & qui a du raport aux plus ingenieuses Dominicales, ou Expositions de l’Evangile, est celle qui suppose trois ou quatre proprietez dominantes, qui renferment sommairement toutes les principales considerations, qui peuvent donner de l’éclat à la Personne que nous panegyrisons, ou au Mystere que nous solennisons, ou à la verité que nous exposons, ainsi que nous le pouvons voir dans l’exenple suivant, qui doit servir de modêle à tous les autres quels qu’ils puissent estre.
L’Inconparable Ciceron ayant dessein de faire l’Eloge du grand Ponpée, il se forme une parfaite idée d’un grand homme d’Estat, de Conseil & d’execution, par l’union des principales qualitez qui sont de la derniere consequence dans un grand Prince, & qui toutes jointes ensenble sont ce grand homme (dont parle Aristote dans sa Politique, qui meriteroit l’enpire de tout le monde) quand il dit qu’il y a quatre principales choses qui établissent, qui soutiénent & qui [ p. 443 ] meritent la dignité de l’Empire & qui font les Heros d’Estat, qui sont les quatre suivantes.
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-La Science militaire.
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La Force valeureuse.
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La Puissance majestueuse.
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La Fortune favorable.
Cét Exenple nous senble si beau, si bien pris, si judicieux & si methodique, pour former l’esprit des jeunes Panegyristes, que nous n’estimons pas qu’il saille ajoûter autre chose à ce Traité, que le conseil que nous leur donnons d’en voir la pratique dans la pluspart de ces admirables Panegyriques qu’entr’autres ont donnés au public, M. Ogier non moins admirable dans ces chefs-d’œuvres d’Eloquence de la Chaire que dans les autres productions de son esprit & publiques & familieres ; & l’Inconparable Pere Senault, qui a sceu si bien disposer les richesses, les artifices & les ornemens de l’Eloquence demonstrative, éclesiastique, dans cette prodigieuse multitude de Panegyriques, qu’il est le seul qui l’a entrepris & executé avec tant de succez & de gloire, qu’il n’y a point de titre qu’il ait acquis avec plus de justice que celuy de Panegyriste inconparable.
En effet il a sceu si bien prendre le caractere de chaque Saint & de chaque Mystere sous de certaines idées & y reduire ce que chaque Saint ou Sainte ont de plus beau & de plus recommandable, & qu’il les a tous loüez en leur particulier, sans leur donner des loüanges communes ; comme il se pratiquoit, dans les siecles passez, ce qui faisoit que les Panegyristes d’alors, ne pouvoient loüer les Saints & les Saintes, ou que par des loüanges communes, ou qu’au prejudice des uns & des autres, par le plus & le moins de vertus, que par une alternative ou vicissitude continuelle, ils trouvoient dans ces grands hommes de l’Eglise, comme s’il n’y avoit pas eu dans leur vie une seule circonstance qui les distingât tous les uns d’avec les autres, & qui les specifiât.
Mais afin d’ouvrir l’esprit aux jeunes Panegyristes, qui ne l’ont pas encore ouvert, d’éclairer le genie de [ p. 444 ] ceux qui ne sont pas encore assez clair-voians, d’animer ceux qui n’ont pas assez de courage & d’aider ceux qui n’ont besoin que d’un peu de secours, d’art ou de Methode, qui vient de l’experience qu’ils n’ont pas encore, nous nous sentons obligez de leur montrer l’idée, l’air, le genie, l’esprit, le caractere, la forme & l’ame du Panegyrique proprement pris, & pour le distinguer de l’Oraison Funebre, en un mot ce qu’il est, & comment ils s’y doivent prendre pour y reüssir, les uns selon leur naturel ou leur genie, le moins mal, les autres assez bien, d’autres bien, d’autres mieux, d’autres bien, d’autres enfin admirablement bien.
I. Ils doivent remarquer en general que le Panegyrique proprement pris, ou pour mieux la panegyrisation ou l’action de panegyriser n’est autre chose qu’un Discours public & solennel, dans lequel un excellent Panegyriste expose ou recite au peuple, à qui il inporte de le sçavoir, ce qu’il y a eu (aux termes de l’Eglise) ou ce qu’il y a de plus recommandable, dans tous les periodes de la vie du Heros, & même dans tous les évenemens, qui ont precedé, aconpagné & suivi sa vie (lorsque le Heros est deffunt) ou sa mort, qu’il met en montre, & en veuë avec tout ce que l’Eloquence a de plus pur, de plus juste & de plus specifique dans ses Phrases, de plus convainquant dans ses Demonstrations, de plus evident dans ses raisonnemens, de mieux imaginé dans ses allusions ou dans ses Prosopopées, de mieux balancé dans ses opinions, de mieux étoffé dans ses reflexions, de mieux orné dans ses anplifications, de plus hardi dans ses digressions, de plus animé dans ses exagerations & de plus doux, de plus tendre ny de plus satisfaisant dans ses mouvemens ; & le tout à la faveur d’une action, d’un tour & d’une expression, qui répond parfaitement bien à la dignité du sujet & à l’excellence de la conposition.
Voila proprement ce que signifie le mot de Panegyrique & d’eloge, & voila toutes les principales démarches qu’il faut faire pour panegyriser quelque grand homme, & pour en faire, le Portrait & le Tableau [ p. 445 ] d’apres le naturel, que d’excellens Panegyristes, comme d’autres Apelles doivent peindre dans l’imagination de ceux qui les écoutent, & que comme d’autres Phidias ils doivent tailler ou graver dans l’ame de leurs Auditeurs ; & s’ils sçavent leur metier, il faut qu’ils aient l’idée ou le plan de leur discours dans l’imagination, comme l’Architecte a celle du Palais qu’il veut élever, & le General d’Armée celle de l’ordre de la bataille qu’il veut donner, qui est le veritable moien de monter en Chaire avec joye, d’y paroistre avec grace & majesté, & d’en sortir avec honneur. Il faut que dans leur imagination, ils voient sortir de leur sujet pour ainsi dire, les branches & les rameaux, à la faveur des divisions & sousdivisions, les sentences, les allusions, les opositions, les enblêmes, les similitudes, les exenples & les autoritez, & que les Auditeurs, à la fin de l’action, s’y representent toute la piece, de même que nous voions sur le tige d’un Oranger, en même-tenps, les bras, les branches, les branchages, les seuilles, les boutons, les fleurs, &les fruits, & concevoir que les Auditeurs enportent le Panegyrique, dans leur imagination, par la seule veuë ou connoissance du sujet, qui est comme le tige & le tronc ou le fondement de tout le discours.
II. Ils doivent remarquer, sur toute chose & avant toute chose, ainsi que dans l’Evangile, que pour reussir dans l’Economie ou ordonnance d’un judicieux Panegyrique, il est de leur devoir de bien lire toute l’histoire du Saint ou de la Sainte, pour en découvrir le caractere ou le dominant, qui conprend certains traits, actes ou circonstances, ou de naissance, ou de vie, ou de mort, qui le specifient, pour ainsi dire, ou qui le singularisent de telle maniere, qu’il soit tout à fait different des autres Heros & des autres Heroines de l’Eglise, quoy qu’il conviéne avec eux & avec elles, dans tous les autres trais qui distinguent le Chrétien, des Juifs, des Infidêles, des Payens & des Impies.
Enfin estant dans l’Eoquence Demonstrative par un ordre ou methode prepostere ou renversée & oposée à [ p. 446 ] celle de Ciceron, que nous venons de citer, mais dans le genre de l’Eloquence deliberative, pour le plan ou l’ordonnance des trais qui font un grand Homme d’Estat, ils doivent non se faire, mais chercher dans l’histoire du Saint même ou de la Sainte, leur propre caractere, nous disons, propre ou specisique, afin de ne pas le confondre avec les autres, par des loüanges communes ou generales, à la façon des anciens, comme nous l’avons remarqué cy-devant.
La Coutume des Panegyristes du tenps est d’observer, pour l’ordinaire, trois principaux traits, actes ou caracteres & dominans, comme autant de chefs ou d’articles, ausquels ils reportent & atachent toutes les autres moindres considerations qui ne sont pas dominantes & regnantes, mais qui étoffent, apuient, eubêlissent & renplissent les principales, mais parce qu’une heure de tenps ne leur permet pas de parcourir trois considerations generales ou principales actions, d’un grand Homme, ils sont obligez, à la façon des Parties de la Dominicale, de toucher la premiere assez anplement, la deuxiéme legerement, & la troisiéme fort succintement, & que cette maniere d’agir est injurieuse au Saint, non moins qu’aux Auditeurs, & peut estre honteuse au Panegyriste, de prometre un Eloge de trois parties ou de trois trais, & d’en retrancher pour le moins la moitié, qui est en quelque façon le defigurer, à l’aureile, comme le peintre, à la veuë, en retranchant une bonne partie de ses plus beaux lineamens, nous estimons qu’il est de nostre devoir d’avertir les jeunes Panegyristes, non moins que les Paranynphistes & les Funebristes, pour ainsi dire, de se faire un plan & une ordonnance de moindre étenduë, afin de le renplir à l’honneur du Saint, à la satisfaction des Auditeurs & à leur propre gloire, & de preferer la Dicotomie ou la distribution de deux parties, à la Tricotomie, qui est de trois membres, & de la sousdiviser en deux autres parties ; ainsi que nous l’avons remarqué dans la distribution de la Dominicale. Il ne leur doit pas suffire de découvrir ou deux ou trois [ p. 447 ] principales pensées, & même quatre, lors qu’elles sont de peu d’étenduë, il faut principalement qu’ils les économisent & les disposent si bien & en si bon ordre, qu’elles soient comme atachées ensenble & qu’elles se supposent & s’apellent les uns les autres ; & nous pouvons asseurer les jeunes Panegyristes que cette liaison ou enchaînement ne leur donnera point de peine, s’ils ont égard à la naissance des choses, à leur dependence des trois circonstances principales qui sont.
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La Naissance des Evenemens.
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Leur dépendence ou aliance.
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Leurs Raports ou leurs veuës.
A quoy servent beaucoup les circonstances tenporeles qui atachent, le mieux, tous les evenemens les uns avec les autres.
Mais pour découvrir ce point de convenance ou de dependence qui se trouve en toutes choses, & pour les categoriser, par maniere de dire, afin de découvrir toutes leurs parties ou toutes leurs Proprietez, à la façon des Etres metaphysiques qui sont si bien disposez dans l’arbre de Porphyre, qui est d’un singulier & merveilleux usage à ceux qui sçavent s’en servir, les jeunes Predicateurs dans l’acte de la meditation ou preparation sur leur sujet doivent faire les deux questions fondamentales de la Dialectique, qui sont comme nous l’avons déja observé sur le sujet de la Dominicale.
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Le Quid est, ou le Qu’est-ce que ?
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Le Quotuplex ? ou le Conbien y-a-t-il ?
Comme s’ils se demandoient Qu’est -ce que cecy, ou cela ? pour les categoriser ou reduire à leur ordre & famille, par une judicieuse & sçavante réponse qui consiste dans une juste denomination, qui marque la nature & les proprietez ou accidens de chaque chose, Vnum quodque proprio nomine insignire, eruditio est, n’estant pas possible de signifier ou representer les choses par leurs propres noms sans les bien connoistre.
Mais apres tout ils doivent remarquer, que les noms les plus propres & les plus commodes qu’ils puissent enploier à cet usage, sont le metaphoriques ou [ p. 448 ] allegoriques ou sigurez, comme sont ceux.
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De Sacrifice.
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De Trionphe.
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De Victoire.
Et d’autres paroles enpruntées, étrangeres ou figurèes, qu’ils aprendront des plus celebres Panegyristes, & qui donnent jour à la division ou distribution du sujet & à l’ordonance de toute la Piece ; pour peu qu’ils fassent agir ces mêmes paroles metaphoriques, par l’explication des raports qui se trouvent entre les deux termes de la Metaphore, ou les deux choses qui sont metaphorisées, ou mises en parallele, dans l’acte de la preparation, selon les allusions precedentes, mais par le secours des abstrais ou termes primitissf, qui se détachent & se tirent des concrets, comme le terme Victoire, les oblige à se demander, par exenple, quel est le terme, la sentence ou la proposition regnante dans l’Histoire de saint Estiéne : ils se doivent répondre, c’est celuy de Victoire, saint Estiéne est glorieux. Ce terme Victoire ou Gloire, est metaphorique ou enprunté de l’Art militaire. Cette découverte leur aprend que la victoire supose le conbat, & que le conbat est un terme relatif, c’est à dire, qu’il n’est pas seul, puis que du moins dans un conbat, il y a les deux chefs qui defendent leurs interests, comme sont Cesar & Ponpée dans la pléne de Pharsale ; ils en doivent faire l’aplication au sujet comme à saint Etiéne, & remarquer les deux Pretendans en abstrait qui sont, ou la Loy & la Grace, c’est à dire, ou bien le Iudaisme & le Christianisme qui conbatent ; ou bien la Rage des Juifs & la douceur de saint Estiéne, qui conbatent l’une contre l’autre pour dire par ces abstraits relatifs & oposez, qui ramassent pour ainsi dire, toute l’Histoire de la mort funeste de ce grand Saint :
Que la douceur de saint Etiéne trionphe de la cruauté des Juifs.
Que sa Féblésse trionphe de leur violence.
Que son Amour trionphe de leur haine.
Comme, pour retourner à Pharsale, nous pouvons [ p. 449 ] dire de la même façon.
Que l’Anbition, dans la personne de Cesar. trionphe de l’amour de la Patrie, dans celle de Ponpée,
Que le Bon-heur, dans la personne de Cesar, trionphe de la valeur, dans celle de Ponpée. Scit vincere, uti victoriâ nescit, dit Cesar, en parlant de Ponpée.
Que la Tyranie, dans la personne de Cesar, trionphe de la liberté roméne, en celle de Ponpée.
Ou ainsi dans l’Exenple qui suit qui est l’histoire de saint Joseph, au regard duquel le Panegyriste, dans l’acte de la preparation, se demande, en veuë de l’Alphabet des idées ou desseins, dont nous avons parlé, page 254. lequel est le terme, la sentence, ou la proposition regnante dans la vie de ce Saint ? il se repond, c’est la Grandeur. Ensuite il se demande, ce que c’est que cette Grandeur & en quoy elle consiste ? il se répond, qu’elle consiste en une cooperation, tout à fait merveilleuse & surprenante. De plus il se demande, en quoy consiste cette merveille ? il se répond, en trois principaux raports qui en sont la baze ou le fondement & qui renferment tout ce que saint Ioseph a de particulier, dans ce grand Ouvrage de la Redemption ;
1. Au regard du Pere Eternel.
2. Au regard de l’Homme-Dieu.
3. Au regard de la Mere de cet Homme-Dieu. Qui conprénent ce qu’il y a de plus grand & de plus auguste dans la Religion, & qui font la Grandeur de S. Joseph.
1. Par raport à Dieu le Pere, qui est l’objet de son adoration & de son obeyssance pour l’aider, selon saint Bernard, dans le mystere de l’Incarnation, qui fait sa premiere Grandeur.
2. Par raport à l’Homme-Dieu au regard duquel il est le Pere charitable, ce qui fait sa deuziéme Grandeur.
3. Par raport à la Mere de l’Homme-Dieu, qui est l’objet de sa chasteté, qui le fait chaste Epoux & sa troisiéme Grandeur.
Apres quoy il doit suivre ces trois Propositions ou affections, & dire. [ p. 450 ]
1. Par raport au Pere Eternel, il est son admirable coadjuteur.
2. Par raport au Fils de Dieu, il en est le Pere charitable.
3. Par raport à la Mere de l’Homme-Dieu, il en est le chaste Epoux.
Dans lesquelles considerations, soit pour tonber dans la Division, soit pour entrer dans les Preuves, il faut avoir égard à ce que nous en avons dit dans le Traité del’Exorde, page 223, & suivantes, & dans celui de la Transition pape 246. & suivantes.
Les jeunes Predicateurs en doivent user de même dans les Mysteres de la Religion, dans les ceremonies & solennitez qui se pratiquent dans l’Eglise, & prendre toujours les principaux termes de la matiere, soit Benedictions d’Eglises, soit Vêtures, soit Professions, soit Ouvertures de Synodes ; de Conciles ou autres discours d’aparat ; afin de reduire à ces termes regnans du sujet qu’ils ont à traiter, comme à autant du chefs, toutes les considerations qu’ils ont à faire, & toutes les curiositez qu’il croiront dignes de l’Audience & du sujet même ou de la solennité.
Pour ce qui est de la Morale dans les discours qui la demandent, & principalement les Panegyriques ou de joye, ou de tristesse qu’on apelle Funebres, elle se tire, le plus ordinairement, de la plainte qui se fait du peu de soin que l’on a de pratiquer la Morale & les vertus qui ont esté exposées, à l’imitation de la personne qui a esté panegyrisée, que l’on forme par la promesse que l’on se fait de la part des Auditeurs qu’ils en useront à l’avenir d’une autre maniere que par le passé. Dans les autres Pieces qui sont de l’Eloquence deliberative, comme les Vétures & les Professions, la Morale consiste aussi dans la consiance que l’on a que la Personne, au sujet de laquelle on a parlé & que l’on a loüée, à l’ocasion de la ceremonie que l’on aura panegyrisée, demeurera ferme dans les resolutions qu’elle a prises, à quoy on ajoute l’exenple des personnes du même ordre que l’on louë par les vertus qui leur [ p. 451 ] sont propres ; & de la même condition ou profession dans les oraisons Funebres.
III. Ils doivent observer que pour reussir dans l’ordonnance d’un Eloge judicieux (comme nous venons de le remarquer) il leur faut faire l’abregé de l’histoire du Saint (ainsi que des autres sujets) c’est à dire des trais ou des principales considerations qui lui sont propres, à l’exclusion de tous autres, & en prendre deux ou trois traits, ausquels deux ou trois trais, adjoints, accidens ou proprietez, qui sortent du sujet, comme deux ou trois branches sortent d’une tige & par le secours des sousdivisions & des transitions, ils raportent toutes les particularitez de sa vie, de sa doctrine, & de ses miracles, lesquelles proprietez, ils doivent étendre par les definitions, c’est à dire par leurs tableaux descriptions, ou hypotyposes, & par les divisions tirées des circonstances, le lieu, le tenps, les personnes, les conjonctures, & rehausser le tout par les Epithetes ou adjectifs, lui donner de la pointe par l’oposition, l’adoucir par les similitudes & l’égayer par les dilatations, les exagerations acroissemens & gradations.
IV. Ils doivent faire chois d’un passage del’Ecriture-Sainte qui soit juste, qui leur fournisse presque mot à mot, action pour action, & les trais qui font leur dessein & leur matiere, comme le Panegyriste aiant envie de faire voir que la sinplicité & le naturel sont les plus agreables offrendes que le Fidele puisse offrir à Dieu, & que trouvant l’un & l’autre en la vie de sainte Geneviéve, qui estoit sinple & sans artifice, c’est à dire sans cette culture & politesse, des grandes Villes, jeune & belle, mais chanpetre ou sans affectation, l’Ecriture fournit ce beau passage, Ego sum flos campi.
V. Ils doivent sçavoir que l’Ecriture leur doit estre tres familiaire pour trouver facilement & à point nomme, des Textes pour les enploier dans les sujets de l’Eloquence libre, que nous avons ainsi nommée à cause de la liberté des Predicateurs à prendre tels passages que bon leur senble, pour les Panegyriques, pour les [ p. 452 ] Vêtures & pour les Professions, pour les Dedicaces ou Benedictions d’Eglises, pour les oraisons Funebres & pour d’autres evenemens qui concernent l’honneur de l’Eglise & la gloire de Dieu, & qui obligent les Predicateurs à monter en Chaire, lorsqu’ils y pensent le moins.
VI. Ils doivent sur toutes choses avoir égard au dessein ou à l’ordonnance du Panegyrique, c’est à dire au plan de toute la piece, dans lequel comme en plusieurs actes de l’histoire ou de l’Eloge, il n’y ait aucun trait qui ne soit bien placé ainsi que dans un Tableau ; comme dans celui de Job qui comme le principal acteur doit estre dans l’un des plus beaux endroits, sa femme, ses enfans, ses amis, ses domestiques, ses heritages, ses bestiaux & le demon, & que comme toutes ces figures se doivent donner de l’eclat mutuellement, aussi les differens trais du Panegyrique fassent connoistre l’Original par sa peinture, & le Saint par son Eloge.
VII. Enfin nous les devons avertir que comme l’Eloge est proprement la montre ou l’exposition & l’etalage qui se fait d’une vertu ou qualité agissante ou patiente, les Dominicales sont de continuels Panegyriques, dans lesquels les Panegyristes exposent le merite ou l’excellence des veritez evangeliques, & qu’ainsi l’Eloquence demonstrative ne regne pas moins dans les Dominicales que dans les Panegyriques même.
Et pour finir par ce petit & dernier avis, nous leur disons que la Methode de lire les Auteurs leur est tres necessaire, parce qu’il y a des exenples de la maniere la plus propre, pour faire la discussion ou anatomie du merite d’une personne illustre, & pour ainsi dire, la partition de sa vertu, qui est le fondement de la preparation sur un sujet de Panegyrique & d’Eloquence demonstrative ; & pour tout dire, en peu de paroles, nous les avertissons qu’ils doivent avoir recours à notre vive voix, c’est à dire à nos leçons ordinaires, de l’utilité desquelles ils peuvent s’instruire dans la preface de ce present Systeme. [ p. 453 ]