Jacques Du Roure, 1662 : La Rhétorique françoise

Définition publiée par Leïla Perrier

Jacques Du Roure, La Rhétorique française nécessaire à tous ceux qui veulent parler, ou écrire comme il faut et faire ou juger : des discours familiers, des lettres, des harangues, des plaidoyers, et des prédications, Paris, chez l’Auteur, 1662, Troisième partie, p. 23-26.

Définition publiée par Leïla Perrier, le 20 juin 2022

On apelle Tropes les figures qui pour supléer au défaut des paroles, ou seulement pour orner le discours, changent la propre signification des termes. [...] Les Tropes regardent ou des choses unies comme la partie & le tout, la cause & l’effet, ce qui precede & ce qui suit : ou des choses qui ne sont pas unies, mais qui sont semblables, ou oposées. Par ce discours, on peut connoitre l’ordre, la matiere & le nombre des principaux Tropes, qui sont la Synecdoque, la Metonimie, la Metaphore et l’Ironie.

[...] [p. 24] [...]

L’Ironie est une raillerie qui a un sens differant de celuy des paroles. Et on connoit ce sens, ou par le geste, ou par la prononciation, ou par les choses mémes que l’on prononce. Il y a diverses sortes de raillerie. Les unes sont piquantes & d’ordinaire offensent tout à la fois ceux qu’on raille, & ceux devant qui l’on raille, comme d’apeller Verres, un verrat & un porq. Les autres s’aprochent plus de la civilité Françoise, & mémes si je ne me trompe de la civilité Romaine. Ciceron nous a donné un bel exemple de cette derniere sorte d’ironie, dans la deffense de Ligarius. Voicy un grand crime, Cesar & un crime tout extraordinaire. Tuberon qui s’en est rendu denonciateur, acuse Ligarius d’avoir été en Afrique ! Cette figure n’est point propre à certains suiets, comme à ceux qui sont ou importants ou tristes, ou vilains. Et bien que les choses de la Religion soient sans doute du premier rang, l’ironie neanmoins est la plus ordinaire figure de ce Dialogiste anonime que l’on dit qui s’est fait admirer depuis assez peu de temps sur certaines matieres de Theologie, & dans un stile épistolaire & familier. Celuy de nos autres François que l’on croit avoir mieux reussi dans la galanterie & generalement dans tout le genre d’écrire dont les Rhetoriciens peuvent icy parler, est Voiture. Ce n’est pourtant pas qu’il n’ait raillé méme sur les trois sortes de sujets, que i’ay marquez auparauant comme incapables, ou pres qu’inquapables, de raillerie, I’en veux raporter quatre ou cinq exemples. Mais ie ne veux les raporter qu’apres avoir suplié ces austeres gens, qui n’aiment que le serieux & qui desaprouvent peut-étre que l’on traite d’une figure, qui regarde seulement le redide, de considerer que c’étoit autrefois la favorite du père méme des mœurs, & que quelquefois on peut aujourd’huy comme, on le pouvoit dez cet ancien temps dire en riant la verité, quoy [p. 25] qu’elle soit toujours oureure à ce point, que ceux méme qui la disent de la sorte ont peine à la rendre agreable. Le premier des exemples, dont ie commençois à parler est tiré d’une lettre que Voiture a écrite à Mademoiselle de Rambouillet. Personne, dit-il, n’est encore mort de votre absence horsmis moy. Ie ne crains point de vous le dire ainsi cruëment, pour ce que ie croy que vous ne vous en soucierez gueres. Vous saurez donq Mademoiselle, que depuis Mercredy, qui fut le jour de vôtre partement, je ne mange plus, je ne parle plus & je ne voy plus : & enfin il n’y manque rien sinon que je ne suis pas enterré. Ie vous suplie au reste, Mademoiselle de ne point rire en lisant cecy ; car sans mentir c’est fort mal fait de se moquer des Trespassez & si vous étiez en ma place, vous ne seriez pas bien aize qu’on en usât de la sorte. Ie vous conjure donq de me plaindre, & puisque ne vous pouvez plus faire autre chose pour moy, d’avoir soin de mon ame. Car je vous assure qu’elle soufre extremément. Lors qu’elle se separa de moy elle s’en alla sur le grand chemin de Chartres, & de là droit à la Mothe ; Et méme à l’heure que vous lisez cecy, ie vous donne avis qu’elle est aupres de vous, & qu’elle ira cette nuit & en vôtre chambre faire cinq ou six grans cris, si cela ne vous tourne point à importunité. Ie croy que vous y aurez du plaisir. Car elle fait un bruit de diable, & se tourmente & fait une tempete si étrange, qu’il vous semblera que le logis sera prêt à se renverser. Quoyque les choses qui regardent les Princes & les Estas ne soufrent pas non plus l’Ironie, Voiture n’a pourtant pas laissé d’en user quelquefois, lors qu’il a parlé de ces choses, & que par exemple il a fait dire aux poissons dans quelques-uns de ses vers.

Les Princes sont étranges gens.

Heureux qui ne les connoit guere :

Plus heureux qui n’en a que faire.

       Les plus tristes sujets ont encore été ceux de la raillerie, comme quand il répond à une Demoiselle qui luy avoit envoyé le nom de quelques personnes tuées ou blessées dans un combat. Ie vous louë dit-il, de la bonté que vous avez de prendre soin des morts & des blessez, & ie vous en remercie pour la part que i’y puis avoir. En un autre endroit il raille d’un sujet assez honnéte, pour ne pouvoir pas étre nommé. Et i’avouë que ie ne le raporterois pas, si ie ne considerois le jeune Pline, *qui avoit merité la voix des plus honnétes gens pour la pretrise méme, & qui ne laissoit pourtant pas de s’occuper iusqu’à des chansons, sans excepter celles des amours de Socrate. On se trompe, dit-il de me croire toujours dans le serieux : Ie ry quelquefois & me jouë. Que s’il est des ignorans qui me condamnent, i’apelle de leur jugement à quiconque connoit les Savans que ie lis, & les grans hommes que i’imite. Dans l’endroit dont il est question, Voiture dit qu’une Demoiselle dont la iupe fut retroussée en versant dans un carrosse, l’avoit pris par trahison & par le derriere. Qu’il s’étoit bien toujours gardé de son visage, mais qu’elle luy en avoit fait voir un autre de qui il ne se gardoit pas & qui s’estoit caché toute sa vie pour l’assassiner. Quelque méchant qu’il soit, ajoutet-il, il est si beau & si royonnant qu’elle. Soleil méme en a eté confus : & sans doute il seroit retourné d’où il étoit venu ; mais Philis il n’a pas osé montrer son derriere, apres avoir vû le vôtre. Neanmoins.

On m’a dit qu’il a des deffaux

Qui me donneront mille maux.

Car il est farouche à merveilles,

Il est dur comme un diamant.

Il est sans yeux & sans oreilles

Et ne parle que rarement.

           Ie ne laisse pas de l’aimer, ie vous prie seulement de cacher avéque soin les beautez qu’il a. Si elles étoient sans voile, les hommes ne dureroient pas long temps. Pour les Dieux, encore qu’ils soient assis sur les étoiles, ils ont pourtant un siege moins beau que le vostre. Ce sont si ie ne me trompe semblables choses, qui persuadent à quelques uns, qu’on lit la plus grande partie de nos auteurs, comme on entend les Comediens, pour se divertir & non pas pour s’instruire. Et méme ne say-ie point si l’on y trouve toujours le divertissement que l’on y pretend trouver. Quelquefois les sujets qu’ils traitent ne sauroient donner que de l’aversion. Et on a beau dire que les fines & ingenieuses railleries font changer de nature aux choses les plus sales, ou du moins qu’elles en cachent la difformité. Il n’apartient qu’aux Dieux de faire des Metamorphoses encore les font-ils agreables. ** S’ils changent les Nayades en diamans & les Oreades en Perles : Ils ne changent pourtant jamais ni les froncles par exemple, ni la vilaine imagination

* v. cp. 1. l. 2. & 3. 5.

**voyes les derniers ouvrages de Voiture.

[p. 26] que les hommes en ont. C’est pourtant ce que Voiture semble pretendre. Mais qu’il soit cloué à Paris, qu’il ait une raison fondamantale pour y demeurer : toujours ne parlet-il que d’une apostume. Vne des plus belles railleries que j’aye remarqué dans cét auteur c’est lors qu’il écrit au Marquis de Pisany qui avoit perdu au jeu son argent & son equipage. Monsieur on auroit grand tort si l’on vous reprochoit que vous avez gardé le mulet au camp de Thionville ; au diable le mulet que vous y avez gardé. Considerant que plusieurs armées se sont autrefois perduës par leur bagage, vous vous êtes defait de tout le vostre : & ayant lû souvent dans les Histoires Romaines, voila ce que c’est que de tant lire, que les plus belles actions que leur cavalerie ait faites autrefois, elle les a faites ayant mis pied à terre & s’étant demontée volontairement dans le fort des combats les plus douteux, vous vous êtes resolu d’êloigner tous vos chevaux, & vous avez si bien fait, qu’il ne vous en est demeuré pas un seul.

 

          Il va de son pied l’eminent personnage.   Peut-étre que vous en recevrez quelque incommodité mais aussi, cela est sans mentir bien honnorable, qu’aussi bien que Bias, (Bias vous le connoissez tant) vous puissiez dire que vous avez aveque vous tout ce qui est à vous. Non pas à dire le vray une quantité de hardes inutiles ni un grand acompagnement de chevaux, ni une extreme abondance d’or & d’argent monnoyé, mais probité, generosité, magnanimité : fermeté dans les perils, opiniatreté dans les disputes, mêpris des langues êtrangeres, ignorance, des faux dez, une tranquillité inouye dans la perte des biens perissables. Qualitéz, Monsieur, qui vous sont propres & essensielles, & lêquelles ni le temps ni la fortune ne sauroient separer de vous. Or comme ainsi soit qu’Euripide, qui êtoit comme vous savez ou comment vous ne savez pas, un des plus graves Auteurs de la Grece, êcrive en l’une de ses Tragedies que l’argent fut un des maux qui sortit de la boite de Pandore, & peut-étre le plus pernicieux : i’admire comme une qualité divine en vous, l’incompatibilité que vous avez aveq luy. Et il me semble que c’est une excellente marque d’une ame grande & extraordinaire, de ne pouvoir durer aveq le corrupteur de la raison, l’empoisonneur des ames, & l’auteur de tant de desordres, d’injustices & de violences. Mais ie voudrois Monsieur, que vostre vertu ne fut pas tout à fait à un si haut point que vous vous puissiez acommoder en sorte aveq cét ennemy du genre humain & que vous fissiez quelque paix aveque luy, comme nous faisons avéque le grand Turq pour des considerations politiques, & pour la raison du commerce.