Joseph Victor Le Clerc, 1837 : Nouvelle Rhétorique, extraite des meilleurs écrivains anciens et modernes,

Définition publiée par Corinne Denoyelle

Joseph-Victor Le Clerc, Nouvelle Rhétorique, extraite des meilleurs écrivains anciens et modernes, suivie d'Observations sur les matières de composition dans les classes de rhétorique, et d’une Série de Questions à l’usage de ceux qui se préparent aux Examens dans les Collèges royaux et à la Faculté des Lettres, Bruxelles, Société belge de librairie, etc., Hauman, Cattoir et comp°, 1837 (1ère éd. 1823), p. 68-69.

Définition publiée par CD, le 25 mars 2016

QUALITÉS PARTICULIÈRES DU STYLE.

 

Les qualités générales du style sont partout les mêmes; partout le style doit être correct, clair, précis, naturel, noble, harmonieux: les qualités particulières changent suivant la nature des sujets qu’on traite, ou des objets qu’on doit peindre. L’élocution [p. 172] sera-t-elle la même dans les matières de discussion, dans les sujets agréables, et dans les sujets élevés ou pathétiques? Non, et c’est d’après l’observation de la nature, seul fondement des règles de l’art, que les anciens avaient distingué les trois principaux caractères de l’élocution, le simple, le tempéré, le sublime.

Quelques modernes ont regardé cette division comme pédantesque, et ont voulu la bannir de l’art oratoire; ils ont reproché à Rollin de s’être traîné servilement dans cette routine scolastique, et d’avoir comparé le style simple à une table proprement servie, mais sans raffinement et sans recherche; le tempéré à une belle rivière ombragée de vertes forêts, et le sublime à un fleuve. impétueux. Peut-être fallait-il seulement lui reprocher d’avoir traduit avec un peu trop de négligence Cicéron et Quintilien. Il suffira, je crois, pour justifier les anciens rhéteurs, de laisser parler Cicéron, qui n’a fait que développer leur doctrine. Il savait très bien, et il a surtout prouvé par son exemple, que dans un seul discours on prend quelquefois tous les tons, et que ces divisions ne peuvent être exclusives; s’il les a conservées, c’est qu’il ne les a pas crues inutiles à l’enseignement de la rhétorique, et à l’analyse des beautés oratoires.

Rien, dit-il, ne semble d’abord plus facile à imiter que le style simple; à l’épreuve, rien ne l’est moins. Quoiqu’il ne doive pas être très-nourri, cependant [p. 173] il faut qu’il ait un certain suc, et, sinon une extrême force, du moins celle qui prouve la santé. Commençons donc par le tirer de la servitude des nombres oratoires, nécessaires à d’autres genres, mais que celui-ci néglige. Sa marche doit être libre, quoique régulière; il fuit la contrainte, mais il évite aussi les écarts et la licence. Qu’il ne cherche pas non plus à lier les mots par une construction pleine et serrée: ces hiatus, ces voyelles qui se rencontrent, ont souvent je ne sais quel aimable abandon, qui nous montre l’heureuse négligence d’un homme plus occupé des choses que des mots. Mais l’orateur, libre du travail de la période, de l’enchaînement de la phrase, a d’autres conditions à remplir; car ces tours si rapides et si simples ne dispensent pas de toute application: il est un art de paraître sans art. Comme il y a des femmes à qui il sied bien de n’être point parées, l’élocution simple nous plaît, même sans ornements. C’est une beauté négligée, qui a des grâces d’autant plus touchantes qu’elle n’y songe pas..... L’orateur du genre simple, content de ces grâces modestes, sera peu hardi à créer des expressions nouvelles, réservé dans ses métaphores, économe de vieux mots, sobre en général dans l’emploi des figures.... Ce genre n’admet ni la parure ni l’éclat: c’est un repas sans magnificence, mais où le bon goût règne avec l’économie; le bon goût, c’est le choix. On ne trouvera ici aucune de ces figures des rhéteurs, ni antithèses brillantes, ni chutes et désinences semblables, ni changements de lettres pour faire un [p. 174] jeu de mots; des beautés si travaillées, des piéges ainsi tendus annonceraient trop l’envie de séduire. Les figures de répétition, qui veulent une prononciation forte et animée, ne s’accorderaient pas non plus avec ce ton modeste et simple; mais il n’exclut pas les autres figures de mots, pourvu que les phrases soient coupées et toujours faciles, et les expressions conformes à l’usage; que les métaphores ne soient pas trop hardies, ni les figures de pensées trop ambitieuses. L’orateur ne fera point parler la république, n’évoquera point les morts, n’affectera point ces riches énumérations qui se lient dans une seule période: ces ornements supposent dans la voix une véhémence qu’on ne doit attendre ni exiger de lui; il sera simple dans son débit comme dans son style.... Son action ne sera ni tragique ni théâtrale; avec des gestes modérés et l'air du visage, il produire une vive impression; et, sans grimace, il fera voir naturellement dans quel sens il faut l'entendre.