Bary, 1660 : La Rhetorique Francoise

Définition publiée par Dylan VANOTTI

René Bary, La Rhetorique Francoise Ou L'On Trouve de nouveaux Exemples sur les Passions & sur les Figures. Ou l'On Traite à Fonds de la Matière des Genres Oratoires, Paris, Pierre le Petit, 1660,  première partie, « Des Choses qui flattent l'opinion des injurieux », p. 236-242

 

DES CHOSES QUI FLATTENT

l’opinion des injurieux.

On se porte à faire injure, ou parce qu’on s’imagine qu’on ne sere pas découvert, ou que si l’on est découvert, on ne sera pas puny, ou que si l’on est puny, le chastiment sera leger. Le laquais d’un financier, par exemple, est capable de dérober son maistre, lors qu’il pense que dans la multitude des monnoyes qu’il voit, on ne s’apperceuvra pas de ce qu’il prendra, ou que si l’on reconnoist son l’arcin, il sera receu à s’excuser, sur ce qu’il est tres difficile de voir tant d’argent, & de ne succomber pas sous les efforts de la tentation, ou que si on ne tient pas grand compte de ses excuses, on se contentera de luy donner les estrivieres, & de le mettre à la porte.

Les persuasifs, les riches, & les puissants, sont disposez à faire injure, parce que l’éloquence déguise les choses, que le bien corrompt les juges, & que le credit intimide les ambitieux.

Ceux qui ont accez aupres des Magistrats, sont disposez à faire injure parce que l’affection altere le jugement, ou fléchit la volonté, & que la faveur adoucit la loy.

Ceux qui n’ont pas la mine de remporter des victoires secrettes, sont disposez à les entreprendre, parce qu’ils sont exempts de soupçon, & que la plus part des femmes craignent plus le des-honneur que le peché.

Les circonstances du lieu disposent les méchans à faire injure, parce qu’on ne se défie pas des actions qui peuvent avoir beaucoup de témoins.

Ceux qui n’ont point d’ennemis, se portent à faire injure, parce qu’ils n’ont point d’espions, qu’ils ont tousjours paru gens de bien, & qu’à moins d’estre pris sur le fait, leur crime trouve des protecteurs.

Ceux qui ont beaucoup d’ennemis, sont disposez aussi à mal faire, parce que les mesmes qualitez qui excitent la haïne, engendrent les mauvaises actions, qu’on n’est point en défiance des personnes qui doivent estre sur leur garde, & qu’il est aisé de tromper celles qui sont extrémement éloignées de la crainte d’estre prevenuës.

Ceux qui ont commis plusieurs crimes, & qui n’ont point encore esté découverts, sont fort disposez à faire injure, parce qu’ils sont accoustumez à faire du mal, qu’ils attribuent leur bon heur à leur adresse, & qu’ils s’imaginent que le mesme esprit qui les a garantis quelque temps, les garantira tousjours.

Les voluptueux sont sujets à faire injure, parce que ces sortes de gens sont plus tentez par les appas du plaisir qu’ils ne sont intimidez par les horreurs du chastiment.

Les avares & les miserables sont disposez à faire injure, parce que l’avarice est insatiable, & que la necessité est violente.

Ceux qui sont en tres-bonne estime, peuvent estre disposez à faire injure, parce qu’on ne se défie pas d’eux.

Et ceux qui sont en tres-mauvaise odeur, sont disposez à faire du mal, parce qu’on ne peut rien adjouster à leur infamie.

DE CEUX A QUI L’ON

fait injure.

On fait injure aux nonchalans, aux craintifs, aux stupides, & aux infames, parce qu’on s’imagine que les premiers preferent une molle paresse, à une penible poursuitte, que les seconds ont plus de disposition à la patience qu’à la colere, que les troisièmes sont insensibles, & que les autres sont suspects.

On fait injure à ceux qui n’en ont jamais receu, & à ceux qui en ont receu souvent, parce que les premiers ne sont point sur la défiance, & que les autres sont las d’estre sur leur garde.

On fait volontiers injure à ceux qui sont desia notez de quelque linfamie, parce qu’ils redoutent la presence des juges, & qu’ils ne sont pas ordinairement écoutez.

On fait injure aux pauvres & aux passagers, parce que les uns n’ont point de credit, & que les autres manquent d’habitudes.

DES CIRCONSTANCES

de l’injure.

Comme il y a des gens qui confessent l’action, & qui nient la qualité dont elle est revestuë, il est important de parler encore de l’injure, & de s’estendre sur sa grandeur & sur sa potitesse.

Il ne faut pas juger de la qualité de l’action par l’obmission de loix écrites parce qu’on doit plus s’attacher au legislateur qu’à la loy, à ce qu’il sous-entend qu’à ce qu’il exprime, qu’il y a des choses que l’équité condamne, & dont les loix ne parlent point, & que ceux qui s’excusent sur le silence de la loy, excusent une malice concertée par un défaut impreveu.

Celuy qui dérobe quelques deniers à ceux qui travaillent aux Temples, merite d’estre severement puny, parce qu’il est évident que ceux qui exercent leur injustice envers des miserables, qui succombent sous la tentation des moindres choses; & qui portent leurs mains larronnesses sur les deniers sacrez, sont dans la prochaine disposition de commettre tout ce que l’occasion inspire, & tout ce que la foiblesse suggere.

Celuy qui tuë commet une grande injure, parce que si la maladie, qui ne peut estre vaincuë, est bien grande, l’injure qui ne peut estre reparée, est bien atroce.

On doit mettre au rang des grandes injures les actions pour lesquelles on a inventé de grands supplices, parce qu’elles passent pour odieuses dans l’esprit des Magistrats & des peuples, & que de les commettre, c’est mépriser ce qui doit servir de regle, de deffence, & de terreur.

Ceux qui font gloire de leur infamie, qui cherchent le jour & la foulle, qui paillardent aux coins des ruës, dans les Palais, & dans les Temples, commettent des injures insupportables, parce que ces sortes d’actions offencent l’honnesteté publique, qu’elles confondent les especes, qu’elles des-honorent l’humanité, qu’elles tentent les foibles, & qu’elles instruisent les innocens.

Les injures sont grandes, lors qu’elles sont commises aux lieux où on les punit, parce que les lieux où l’on rend la justice sont tenus pour sacrez, & que les actions qui offencent les choses qui sont en grande consideration, sont grandement criminelles.

Les injures sont grandes lors qu’elles portent les injuriez, comme Euctemen, a se faire plus de mal qu’ils n’en n’ont receu, parce que l’offence devient la cause d’une estrange violence, & qu’il faut qu’elle renferme des circonstances bien outrageuses & bien diffamantes.

Enfin les injures ne sont pas petites lors qu’elles sont commises envers des personnes à qui on est redevable, parce que les bestes les plus feroces caressent leurs bien-faicteurs, & que c’est quelque chose de plus sauvage qu’elles que de mal-traitter les siens.

Il faut remarquer en passant que les injurieux sont fort dignes de punition lors qu’ils representent les sages d’un estat, parce qu’ils persuadent aux esprits foibles, que si les injures qu’ils font estoient considerables, ils ne les commettroient pas.

Il faut remarquer encore que les injurieux sont fort dignes de chastiment lors qu’ils renferment dans les effets de leur hayne, des noirceurs ingenieuses, parce que c’est une preuve convainquante qu’ils ont déliberé sur les moyens de rendre l’offense extrémement sensible.

Il faut remarquer de plus que les injurieux sont fort dignes de correction lors qu’ils reïterent souvent leurs offences, parce que c’est un témoignage évident qu’ils font déterminez au mal.