Bernard Lamy, 1712 : La Rhétorique ou l’Art de parler

Définition publiée par Barbero Valenitne

Bernard Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler (5ème éd., 1712), éd. Ch. Noille-Clauzade (1998), Paris, Florentin Delaulne, 1715, p.153-154

DESCRIPTION.

L'hypotypose est une espèce d'enthousiasme qui fait qu'on s'imagine voir ce qui n'est point présent, et qu'on le représente si vivement devant les yeux de ceux qui écoutent, qu'il leur semble voir ce qu'on leur dit. La description est une figure assez semblable, mais qui n'est pas si vive. Elle parle des choses absentes comme absentes, cependant d'une manière qui fait une grande impression, comme il paraît dans cette description qu'Isaïe fait d'une nation que Dieu devait appeler pour punir les Juifs de leur rébellion. Ce prophète parle ainsi, ch.5. Dieu élèvera son étendard pour servir de signal à un peuple très éloigné : il l'appellera d'un coup de sifflet des extrémités de la terre, et il accourra aussitôt avec une vitesse prodigieuse. Il ne sentira ni la lassitude ni le travail ; il ne dormira ni ne sommeillera point ; il ne quittera jamais le baudrier dont il est ceint, et un seul cordon de ses souliers ne se rompra dans sa marche. Toutes les flèches ont une pointe perçante, et tous ses arcs sont toujours bandés. La corne du pied de ses chevaux est dure comme les cailloux, et la roue de ses chariots est rapide comme la tempête. Il rugira comme un lion, il poussera des hurlements terribles comme les lionceaux. Il frémira, il se jettera sur sa proie, et il l'emportera sans que personne ne la lui puisse ôter.

Voici l'exemple d'une description fort vive à qui on pourrait donner le nom d'hypotypose. C'est le soleil qui décrit à Phaéton la route qu'il devait tenir.

Aussitôt devant toi s'offriront sept étoiles :
Dresse par là ta course, et suis le droit chemin.
Phaéton à ces mots prend les rênes en main :
De ses chevaux ailés il bat les flancs agiles.
Les coursiers du soleil à sa vox sont dociles.
Ils vont ; le char s'éloigne, et plus prompt qu'un éclair,
Pénètre en un moment les vastes champs de l'air.
Le père cependant plein d'un trouble funeste,
Le voit rouler de loin sur la plaine céleste,
Lui montre encor la route, et du plus haut des cieux
Le suit autant qu'il peut de la voix et des yeux.
Va par là, lui dit-il, reviens : détourne ; arrête.

Ne diriez-vous pas, dit Longin, que l'âme du poète monte sur le char avec Phaéton ; qu'elle partage tous ses périls, et qu'elle vole dans l'air avec les chevaux ? Car s'il ne les suivait pas dans les cieux, s'il n'assistait à tout ce qui s'y passe, pourrait-il peindre la chose comme il le fait ?