Qu'est-ce que la rhétorique
Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C)
- Aristote, Rhétorique, trad. Ch. E. Ruelle, Librairie Garnier Frères, 1922, L. I, chap. 2, 1355 b 26-1355 b 35
La rhétorique est la faculté de considérer, pour chaque question, ce qui peut être propre à persuader. […] Parmi les preuves, les unes sont indépendantes de l'art, les autres en dépendent. Les premières sont toutes celles qui ne sont pas fournies par notre propre fonds, mais préexistent à notre action. Tels sont les témoins, la torture, les conventions écrites et les autres éléments de même nature. Les preuves dépendantes de l'art, c'est tout ce qu'il nous est possible de réunir au moyen de la méthode et par nous-mêmes. Nous avons donc, en fait de preuves, à tirer parti des premières et à trouver les secondes.
Quintilien ( ~ 35 ap. J.-C. – ~ 96 ap. J.-C)
- Quintilien, Œuvres complètes, trad. L. Baudet, sous la dir. M. Nisard, Paris, Firmin Didot et Cie, 1842, L. 3., chap. 3
Avant tout, qu'est-ce que la rhétorique ? on la définit de bien des manières […]. Presque tous pensent que l'office de l'orateur consiste à persuader, ou à parler de manière à persuader, parce que, en effet, le premier venu peut atteindre ce but sans être homme de bien. On définit donc le plus souvent la rhétorique une force de persuader. Ce que j'appelle force, la plupart l'appellent puissance, quelques-uns faculté. […] Ces définitions ne s'arrêtent pas là. Les uns ont pensé que la rhétorique s'étendait à tout ; d'autres, qu'elle devait être restreinte aux matières civiles. […] Telles sont à peu près les définitions les plus célèbres et les plus controversées. Car de les discuter toutes, il n'est ni expédient ni même possible, d'autant plus que ceux qui ont écrit des traités de rhétorique semblent avoir pris à tâche de ne rien définir dans les mêmes termes que leurs devanciers : vaine ostentation, qui sera loin de moi. Peu jaloux de dire du nouveau, je me contenterai d'exposer ce qui aura le suffrage de ma raison, comme cette définition, par exemple : la rhétorique est l'art de bien dire, parce que, le mieux étant trouvé, chercher autre chose, c'est vouloir trouver pis. Cela posé, on voit clairement quelle est, pour la rhétorique, cette fin, ce terme où tendent tous les arts, et que les Grecs appellent télos. Car si elle n'est pas autre chose que l'art de bien dire, bien dire est le terme final qu'elle doit se proposer. (Quintilien, Œuvres complètes, trad. L. Baudet, sous la dir. M. Nisard, Paris, Firmin Didot et Cie, 1842, L. 2, chap. 14)
Tout l'art oratoire, comme l'enseignent la plupart des grands maîtres, consiste en cinq parties : l'invention, la disposition, l'élocution, la mémoire, la prononciation ou l'action : car on dit l'un et l'autre.
Joseph de Jouvancy (1643-1719)
- J. de Jouvancy, s.j., Candidatus rhetoricae, 1ère éd. 1710, trad. H. Ferté, L’Élève de rhétorique, 1892, p. 1-2
D[emande]. Qu’est-ce que la Rhétorique ?
R[éponse]. C’est l’art de bien dire, ainsi nommé du verbe grec rheo, je dis, je parle, d’où viennent rhetor, rhéteur, orateur, avocat, et rhétorikè, art oratoire, rhétorique.
D. Qu’est-ce qu’un art ?
R. C’est une faculté renfermant certains préceptes qui ne trompent jamais, quand on les connaît bien, et qu’on s’en pénètre.
D. Qu’est-ce que bien dire ?
R. C’est exprimer dans les meilleurs termes les meilleures pensées.
D. Quel est le but de l’orateur ?
R. C’est de persuader.
D. Quel est le devoir de l’orateur ?
R. C’est de parler de manière à persuader.
- J. de Jouvancy, s.j., Candidatus rhetoricae, 1ère éd. 1710, trad. H. Ferté, L’Élève de rhétorique, 1892, p. 4-5
D. Quelles sont les parties de l’éloquence ? ou (ce qui est la même chose) que doit faire l’orateur quand il compose un discours ?
R. Il doit se préoccuper de cinq choses, qui sont : l’Invention, la Disposition, l’Élocution, la Mémoire et le Débit oratoire. […]
D. Comment s’acquièrent les qualités propres à ces cinq parties de l’éloquence ?
R. Par la Nature, l’Art, l’Exercice et l’Imitation.
Jean-Baptiste Crevier (1693-1765)
- J. B. Crevier, Rhétorique française, 1ère éd. 1765, Paris, chez Saillant et Desaint, 1767, t. I, p. 23-24
La Rhétorique enseigne les règles de l'Eloquence, et elle est définie communément l'Art de bien dire. […] Pour bien dire, deux parties sont nécessaires, la beauté de la pensée et celle de l'expression. Mais entre ces deux parties il n'y a nulle égalité. La première est incontestablement la plus importante, et même, à le bien prendre, la seule absolument nécessaire et vraiment essentielle. […] Ecartons donc l'idée basse que l'on se forme quelquefois de la Rhétorique, en supposant qu'elle n'enseigne qu'à arranger des mots, à tourner une période, à connaître les noms des figures. Elle fait tout cela : mais elle est bien plus attentive à nous en enseigner le bon usage, et à donner des règles pour appliquer les mots à leur destination, qui est de servir de vêtement aux choses ; pour ajouter de l'agrément à la pensée par l'harmonie du discours ; pour placer les figures de manière qu'elles fortifient la preuve par le sentiment. (J. B. Crevier, Rhétorique française, 1ère éd. 1765, Paris, chez Saillant et Desaint, 1767, t. I, p. 1-3)
Un esprit ainsi orné et enrichi ne pourra être stérile, et il trouvera sans peine ce qu'il doit dire sur chaque matière qu'il aura à traiter. C'est la première partie de la Rhétorique, l'Invention. Les matériaux qu'il aura trouvés et amassés ont besoin d'être rangés et disposés suivant le plan qui leur convient entr’eux, et qui sera le plus capable de faire un bon effet. Seconde partie de la Rhétorique, la Disposition. Il faut revêtir d'expressions convenables les choses qui ont été trouvées et arrangées. Troisième partie, l'Elocution. Alors l'ouvrage est complet. La Mémoire et la Prononciation sont nécessaires à l'Orateur, mais non à l'Eloquence. Aristote n'en a rien dit. Cicéron et Quintilien en ont parlé sobrement. J'en dirai quelque chose, pour ne rien laisser à désirer.
Joseph-Victor Le Clerc (1787-1865)
- J.-V. Le Clerc, Nouvelle rhétorique, 1ère éd. 1823, Bruxelles, Société Belge de Librairie, 1837, p. 8-9
La Rhétorique est l’art de bien dire : bien dire, c’est parler de manière à persuader. Il ne faut pas faire à l’art de bien dire le tort de croire qu’il n’est qu’un art frivole, dont un déclamateur se sert pour imposer à la faible imagination de la multitude, et pour trafiquer de la parole. C’est un art très-sérieux qui est destiné à instruire, à gouverner les passions, à corriger les mœurs, à soutenir les lois, à diriger les délibérations publiques, à rendre les hommes bons et heureux. L’homme digne d’être écouté est celui qui ne se sert de la parole que pour la pensée, et de la pensée que pour la vérité et la vertu. (J.-V. Le Clerc, Nouvelle rhétorique, 1ère éd. 1823, Bruxelles, Société Belge de Librairie, 1837, p. 1)
Quelque sujet que traite l’orateur, il a nécessairement trois fonctions à remplir : la première, de trouver les choses qu’il doit dire ; la seconde, de les mettre en ordre ; la troisième, de les exprimer. De là les trois parties de la Rhétorique : Invention, Disposition, Élocution : Quid dicat, et quo quidque loco, et quo modo (Cic., Orat., c. 14). A ces trois parties de l’art oratoire on en ajoute une quatrième, l’Action, qui renferme la Prononciation, le Geste, et la Mémoire. Aristote n’en a rien dit ; Cicéron et Quintilien y ont consacré peu de place dans leurs ouvrages. Cette partie, quoique nécessaire à l’orateur, est indépendante de l’éloquence. Nous en dirons quelque chose à la fin de ces Éléments, pour donner une idée générale et complète de tous les préceptes des rhéteurs.
Christine NOILLE